En Orient, le Christianisme s’est élaboré à partir d’un milieu riche en systèmes religieux et philosophiques au sein desquels les idées de Création, de Trinité, de Rédemption, et de Résurrection circulaient déjà.
De la rencontre de ces systèmes et du Christianisme naquirent de nombreuses sectes hétérodoxes (nestorisme, manichéisme, etc.) regroupées sous l’appellation de GNOSTICISME (du grec GNOSIS signifiant CONNAISSANCE ). D’emblée déclarés hérétiques, ces sectes furent au cours de l’Histoire systématiquement condamnées par les conciles mais de même qu’il prit connaissance des textes esséniens, l’Ordre du Temple eut aussi accès aux doctrines gnostiques.
Qu’est-ce que la Gnose néanmoins ?
Apparue à peu près à la même époque que le Christianisme, la Gnose est née à la frontière du judéo-christianisme, et puise ses sources dans les pensées juive, chaldéo-babylonienne ,égyptienne et grecque.
Apanage des seuls initiés, elle se présente comme une sagesse communiquant par le mythe et le discours : les mystères sacrés pour mieux offrir une délivrance exprimée au travers d’un retour à soi, d’un retour à l’UNITE.
Selon la GNOSE, le salut ne peut en effet se faire que par une connaissance totale et immédiate englobant l’Homme , le Cosmos, et la Divinité.
Dans le sillage des gnoses classiques, s’est édifiée une Gnose chrétienne rattachée aux enseignements oraux secrets révélés par le Christ aux apôtres comme le décrit Saint Clément d’Alexandrie :
« … la Gnose, communiquée et révélée par le Fils de Dieu est la Sagesse… elle a été communiquée oralement par les Apôtres,…elle est la connaissance …de la nature de notre naissance et de celle de notre renaissance…la connaissance de l’homme est la connaissance de la perfection, la connaissance de Dieu en est la consommation… »
Deux éléments vont toutefois caractériser la Gnose chrétienne
· Sa volonté de concilier les pensées grecques (Platonisme, Aristotélisme) et Chrétienne.
· Son élitisme marqué et couplé à un profond mysticisme.
Dans le premier cas, tout en soulignant le fait que l’exil de l’âme lumineuse au sein de la matière ténébreuse soit assimilable à une dégénérescence de l’esprit, elle modèrera au fil du temps la pensée juive au profit d’une hellénisation du christianisme.
L’intention étant de donner du chrétien : l’allure d’un sage grec à l’âme claire et confiante dans le Seigneur.
C’est d’ailleurs la position de l’Ordre du Temple qui adopta comme patron Saint Jean l’Évangéliste de PATMOS, le disciple préféré du Christ.
Le caractère élitiste est, quant à lui, parfaitement exprimé dans un autre témoignage de Saint Clément affirmant :
« … le Seigneur nous a permis de communiquer les mystères divins…à ceux capables de les recevoir,…les choses secrètes se confient oralement, et non par écrit et Dieu fait de même,… les symboles sont divulgués sous une forme mystique… mais cette transmission sera faite moins par les mots que par leur sens caché… »
Par cet élitisme, on peut imaginer qu’un enseignement assorti de rites spécifiques qui déconcertèrent tant de frères non-initiés, était délivré à tous ceux qui constituaient l’Ordre Intérieur Templier.
En fait, la Gnose chrétienne renvoie indubitablement à l’existence d’un ésotérisme chrétien présent dans l’Église primitive et pourtant nié de tous temps par l’Église de Pierre.
Il reste néanmoins, évoqué dans l’Évangile de Marc au travers des lignes suivantes :
« …a vous disciples choisis, il est donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu mais à la multitude, ces choses sont dites en paraboles afin qu’ils voient et n’entendent pas, qu’ils écoutent et ne comprennent pas… »
Il est aussi attesté par le fait que jusqu’au IVe siècle , le cheminement qui devait mener le catéchumène à l’entendement des doctrines et des rites chrétiens passait à un moment déterminé par « l’étape » de l’arcane.
Ce n’est qu’ultérieurement que deux voies se dessinèrent :
· La voie exotérique incarnée par l’Église de Pierre qui en tant qu’Église Universelle « catholicos » fut fondée sur la Croyance (PISTIS) dévotionnelle et formelle.
· La voie ésotérique représentée par l’Église de Jean, basée sur la Connaissance (GNOSIS) de l’initié et ne se dévoilant que progressivement à travers la pratique rituélique des saints mystères et dont l’Ordre Templier fut la remanifestation entre 1118 et 1314.
Sur un plan historico-symbolique, ces deux voies ne sont que les expressions des deux pontificats parallèles que l’on retrouve dans l’Ancienne Alliance assimilés aux sacerdoces d’AARON,et de MELCHISEDEQ : le Roi du Monde.
Selon la Tradition, le Pontificat de Pierre prendra fin avec le retour du Christ auquel succèdera le glorieux Pontificat de Jean qui rétablira à jamais la Tradition Primordiale.
Toute la supériorité de Jean et la nature dissimulée de son rôle sont d’ailleurs pleinement exprimées au cours de l’épisode de la pêche miraculeuse qui souligne aussi son rôle, prolongement de celui du Christ :
« …Pierre se retournant, vit venir derrière eux le disciple que Jésus aimait, celui qui pendant le repas du soir, s’était aussi penché en arrière sur sa poitrine et avait dit :Seigneur qui est celui qui te livre ?
Pierre donc en l’apercevant dit à Jésus : Seigneur, que fera celui-là (Jean), Jésus lui dit : Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, en quoi cela te regarde-t-il ?
Toi (Jean), continue à me suivre… » (JEAN : XXI 20-22)
C’est dans cette optique qu’il faut percevoir la création du Temple, l’Ordre fut en fait la « cristallisation » de l’héritage secret de Jean, il fut destiné à incarner le lien entre l’Orient et l’Occident, tous deux détenteurs au delà des formes, des rites, et dévotions d’une portion de la Tradition Première.
L’Ordre Templier œuvrait pleinement à l’avènement du second pontificat. En fait il a bel et bien existé pendant plusieurs siècles en Orient comme en Occident (à Lyon) une Église officielle de Jean.
Au XIIe siècle, cette Église prospère possédait ses propres rites, son texte canonique : l’APOCALYPSE (du grec APOCALYPSIS : Révélation), et son clergé dont fut membre le Patriarche THEOCLETES, celui-là même qui donna au Temple ses pouvoirs lors de sa création.
En dépit de sa filiation et de sa mission johannique, l’Ordre à son tour se scinda en un temple extérieur et un temple intérieur. Le temple extérieur suivait les enseignements de l’Église de Rome et s’adressait aux templiers non-initiés, le temple intérieur suivait ceux de Jean, privilégiant son évangile et célébrant son office selon vraisemblablement le rite Byzantin. L’Ordre du Temple appartenait donc bien à la « Maison de Jean », nom qu’il donnait d’ailleurs à sa Maison cheftaine de Jérusalem.
Gardien du saint Graal, Jean incarne toute la puissance de la Tradition Originelle et Éternelle qui s’exprime intensément dans la Révélation Christique car contrairement à la pensée émotionnelle de Pierre, celle de Jean privilégie l’Esprit Saint, le Verbe, le Logos, c’est à dire toute cette Énergie Secrète de l’Univers assimilée au Christ Solaire et victorieux, porteur de Lumière et de Vie.
L’Ordre du Temple fut ainsi dans une certaine mesure davantage l’Église du Saint Esprit que celle du Christ proprement dit, d’où l’explication du rite de reniement que l’on connaît.
A Jean de PATMOS, l’Ordre associait Jean le Baptiste, tous deux étaient fêtés à l’occasion des solstices quand les jours recommencent à croître comme à décroître, illustrant parfaitement cette parole de l’Évangile de Jean :
« … Il faut que celui là croisse et que moi je diminue… »
Le Temple avait ainsi symboliquement compris que les deux Jean à l’image du Janus latin ne sont rien d’autre que les pôles de l’initiation aux mystères, Jean le Baptiste se confond en ce « vieil homme » qui doit mourir par la descente aux enfers au profit du « nouvel homme » incarné par Jean l’Évangéliste.
La « nouvelle naissance » permettant dès lors d’ouvrir les portes du Ciel donnant accès aux réalités premières.
Voilà ici résumés tout le sens et contenu de la Quête du Graal auquel l’Ordre faisait référence quand il demandait aux frères « de mourir saintement afin de renaître dans la Gloire du Seigneur Dieu ».
Cette association des deux Jean pourrait aussi fournir l’explication du mystère de la tête coupée des templiers souvent décrite dans les aveux comme une tête biface avec une face vielle et barbue( Jean le Baptiste) et une jeune imberbe ( Jean de PATMOS).
Une telle représentation pourrait bien avoir exprimé cette image d’un « Baptême par le feu » représentation de l’Esprit Saint johannique, venant compléter le « Baptême par l’eau » autre symbole du Baptiste car : « seul l’Esprit Saint …infusé en l’être lui permet l’accession à la Gnose et à la Grâce… de la compréhension des Mystères divins… »
L’Ordre templier fut aussi dès sa création lié à la personnalité de Saint Bernard de Clairvaux dont la pensée en modela la destinée. Cette pensée prenait appui sur « Dame Charité » ainsi que sur l’Amour Divin que l’âme peut atteindre par l’extase.
Charité et Amour ne sont toutefois pas donnés spontanément à l’homme, ils ne peuvent s’acquérir que par un effort constant et intense qui aboutit à une connaissance absolue ainsi qu’à un don entier de soi.
Conformément à la doctrine de Jean, il est dit que Charité et Amour concernent tous les hommes une fois reconstitués les liens de l’Unité Première (l’Androgynie Originelle) par la réactivation d’un centre dépositaire de la Sagesse Primordiale.
De ce principe découleront le concept de Terre Sainte de la pensée bernardine et templière ainsi que l’entière fonction de l’Ordre. L’Ordre du Temple se conçoit en effet en terme de « Milice de Dieu » destinée à « servir de chevalerie au Souverain Roi » et à recréer en tant que telle les liens spirituels entre les hommes, c’est pourquoi il n’hésitera pas à contacter d’autres ordres initiatiques traditionnels(ASSACIS, COPTES, DRUZES etc.) sans pour autant hésiter, quand cela sera nécessaire, à faire preuve de rudesse comme « d’agir par le fer ».
L’autre grand apport de Saint Bernard au Temple fut celui de la vénération pour la Vierge Marie, remanifestation, christianisée de la Grande Protectrice génésique qui chez les peuples pré-chrétiens répondait aux noms d’ISIS, d’ISHTAR ou de VENUS.
Archétype de la femme sublimée, la Vierge est ainsi la Voie, l’intermédiaire qui permet au Verbe de s’incarner, elle dessine un chemin par où passe la force cosmique, elle symbolise l’Amour éternel et indifférencié, la Dame au sens chevaleresque du terme, qui fournit à tous cherchants : formes et âmes. Au sein de l’Ordre Templier et comme précédemment, la thématique de Marie connut deux niveaux d’interprétation :
· Un niveau exotérique à base strictement dévotionnelle où la Vierge est définie comme la mère du Sauveur, conformément à l’enseignement de l’Église de Pierre.
· Un niveau ésotérique où Marie image voilée d la « Sophia grecque » n’est autre que la SCHEKINAH kabbalistique, la présence immédiate et sensible de la Divinité au sein du monde comme de l’homme.
Marie est dès lors le lien qui relie le fini à l’infini, les mondes supérieur et inférieur, la médiatrice sublime qui fait communiquer Dieu et les hommes.
Ce concept est d’ailleurs exprimé dans les ultimes paroles prononcées par le Christ mourant comme relaté dans l’Évangile de Jean :
« … Jésus donc voyant sa mère et auprès d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils, ensuite il dit au disciple : voilà ta mère… et depuis lors le disciple la garda dans sa maison… » (JEAN XIX :26).
Une fois encore, Jean apparaît donc pleinement être ce gardien de la Tradition Apostolique du Christianisme Originel, Tradition que l’on assimile à Marie et à sa virginité, « …la virginité de Marie est comparable à celle des Écritures du Seigneur, ces écritures sont fécondes par la lumière qui en rayonne, et par la vérité qu’elles mettent au monde, mais elles demeurent vierges et enveloppent d’un voile saint et pur les mystères de la Vérité… »
Bien que la pensée de Jean privilégie l’Esprit Saint, Marie n’est pas étrangère à cette primauté, l’Ordre du Temple eut connaissance de celle-ci au travers d’une tradition de tos temps rejetée par l’Église de Rome et qui veut que la Vierge fut parmi les Apôtres lors de leur transfiguration par l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte. Mieux encore, cette même tradition précise que c’est sur elle même que s’est initialement posé l’Esprit Saint pour se répandre ensuite en langues de feu sur tous ceux qui l’entouraient.
Marie est ainsi, un personnage fondamental dans l’Église de Jean, à la fois médiatrice et dispensatrice de l’Esprit Saint, il était légitime que l’Ordre lui porte une profonde dévotion et puisse percevoir à travers elle le commencement et l’achèvement de toutes religions.
Notre voyage au sein de l’Ordre Templier s’achève il nous a révélé qu’ « … à travers l’Histoire et ses incidences temporelles, il a toujours existé chez un petit nombre d’hommes, un mouvement dynamique orienté vers l’essentiel, celui-ci permet d’opérer des percées lumineuses donnant accès au fond d’Éternité qui appartient à chaque homme… »
La tentative historique et spirituelle des Templiers eut ainsi deux entrées :
Celle de la Foi qui transcende le monde matériel et permet de le considérer à sa juste et relative valeur,
Celle de l’expérience initiatique qui emprunte la voie de l’apparence pour s’enquérir de l’invisible.
Investis dans leur tâche métaphysique les Templiers empruntèrent puis dépassèrent rapidement la seule voie religieuse pour dessiner cette voie spirituelle où l’Harmonie découle de l’union des contraires.
L’Ordre devint alors une œuvre harmonieuse et cohérente où des hommes tournaient leur regard vers Dieu, s’engageant dans un quête à la fois douce et brutale mais dont l’essence respire encore puissamment à travers leur devise :
« …Non pas à nous Seigneur, non pas à nous, mais à ton Nom seul donne la gloire !… »