L’inquisition
1. Historique
Inquisition épiscopale
Le deuxième concile du Latran (1139) prescrivit qu’il appartenait aux évêques de rechercher les hérétiques, aux juges séculiers de les punir, aux rois et aux princes de prêter, sous peine de déchéance, leur concours à cette répression.
Le concile de Vérone de 1184 donna ordre aux évêques de rechercher eux-mêmes les hérétiques ; il fit appel aux princes et aux seigneurs pour lutter contre l’hérésie sous peine d’excommunication.
Il créa une « constitution » qui faisait des évêques les premiers inquisiteurs et qui livrait aux bras séculiers clercs et laïcs coupables d’hérésie.
Le pape Lucius III et Frédéric Barberousse définirent les châtiments corporels à infliger aux hérétiques.
En 1199, Innocent III publia une procédure inquisitoriale contre les albigeois, exposée dans la bulle « Vergentis in senium » (l’hérésie est un crime de lèse-majesté divine) et envoya des prédicateurs dans la région d’Albi.
Les premières commissions inquisitoriales composées de prêtres et de laïcs furent présentes au concile . d’Avignon en 1200.
En 1207, le pape, dans une lettre aux évêques du Midi, exposa pour la première fois les principes qui justifiaient l’extension de la croisade en pays chrétien : l’Église n’est plus obligée de recourir au bras séculier pour exterminer l’hérésie dans une région ; à défaut du suzerain, elle a le droit de prendre elle-même l’initiative de convoquer à cette œuvre tous les chrétiens, et même de disposer des territoires contaminés en les offrant, par-dessus le suzerain, comme butin aux conquérants.
Cette pratique, appelée « terram exponere occupantibus » ou « terram exponere catholicis occupandam » (livrer la terre aux occupants, ou à l’occupation des catholiques), recevra aux XVIe et XVIIe siècles le nom d’« exposition en proie ».
Innocent III définit la nouvelle procédure dans la décrétale « Licet Heli » de 1213, complétée par la décrétale « Per tuas litteras ».
Le quatrième concile du Latran, réuni en 1215 par Innocent III, reprit toutes les dispositions antérieures au sujet de l’inquisition (du latin inquisitio « enquête ») épiscopale.
En 1219, une bulle de Honorius III débutait par ces mots : « Que chacun de vous ceigne son épée et n’épargne ni son frère ni son plus proche parent. »
L’empereur Frédéric II en 1220 et 1224, le roi de France Louis VIII en 1226, la régente Blanche de Castille en 1229 et le comte de Toulouse lui-même (1229) publièrent des ordonnances contre les hérétiques.
Réuni en automne 1229, le concile de Toulouse fixa la procédure de l’Inquisition :
« Les évêques choisiront en chaque paroisse un prêtre et deux ou trois laïques de bonne réputation , auxquels ils feront serment de rechercher exactement et fréquemment les hérétiques … » ; les sentences seront prononcées par l’évêque : en cas d’hérésie sans repentir, c’est le bûcher ; en cas de repentir, c’est la prison à vie.
Inquisition papale
En février 1231, Grégoire IX confirma les décisions du concile de Toulouse de 1229 qui avait fixé la procédure de l’inquisition : la constitution « Excommunicamus » enleva aux évêques « trop timorés » la charge de veiller à l’orthodoxie des fidèles et mit les inquisiteurs sous la juridiction spécifique de la papauté.
La prison perpétuelle devenait la pénitence salutaire infligée à l’hérétique repentant. L’hérétique obstiné devait recevoir le châtiment qu’il méritait (« animadversio debita ») avec l’abandon au juge séculier et la peine de mort par le feu. Ceux qui étaient en rapport avec les différentes sectes étaient frappés d’excommunication.
Pour la première fois, un ensemble de mesures attribuait à une juridiction d’exception (« Inquisitio hereticae pravitatis ») le châtiment des ennemis de la foi: l’Inquisition était née.
Grégoire IX munit l’inquisiteur allemand, Conrad de Marburg, de l’ordre de Prémontré, de pouvoirs très étendus pour poursuivre les hérétiques, et particulièrement la secte cathare extrémiste des lucifériens, qui s’adonnait à des pratiques proches de la sorcellerie.
Avec ses auxiliaires Dorso et Jean, Conrad agit avec un tel fanatisme et d’une manière tellement illégale qu’il souleva le mécontentement d’un grand nombre d’habitants et fut massacré par des chevaliers dans le voisinage de Marburg.
En 1232, une bulle de Grégoire IX, qui accusait de pratiques sacrilèges (sorcellerie, orgies, crucifixion des prêtres) les cathares du Nord, justifia une série de croisades contre les Stedinger du Bas-Weser.
En 1233, par la bulle « Ille humani generis », Grégoire IX installa l’Inquisition en Languedoc et deux tribunaux fixes furent mis en place à Carcassonne et à Toulouse, malgré des soulèvements populaires à Toulouse, Narbonne et Albi (1234-1235).
Le 20 avril, Grégoire informa les archevêques et les autres prélats qu’il les soulageait d’une partie de leur fardeau en choisissant, pour combattre l’hérésie, les Frères prêcheurs.
Le 22, le pape donna mandat au provincial des Frères Prêcheurs de Provence pour désigner des religieux chargés de la répression de l’hérésie.
Peu de temps après, les franciscains furent adjoints aux dominicains et leur juridiction s’étendit à la chrétienté toute entière.
En juin, une deuxième croisade contre les Stedinger pénétra sur le territoire oriental, resté cependant à l’écart des luttes, et se livra à un massacre général (lors de l’attaque de la rive gauche, Oldenbourg, chef des croisés, fut tué avec deux cents de ses soldats).
La même année, l’évêque cathare Vigoureux de Baconia était brûlé vif : il fut la première victime de l’Inquisition en France.
L’action du frère prêcheur, Robert le Petit, dit le Bougre (« le Bulgare », parce ce qu’il avait été cathare), fut si brutale à La Charité-sur-Loire, cette-année-là, que Grégoire suspendit ses pouvoirs dès février 1234 (rentré en grâce en août 1235, Robert reprit cependant son activité frénétique, jusqu’à sa condamnation à la prison à vie en 1239).
En 1235, 210 cathares furent brûlés à Moissac.
Ayant voulu faire déterrer du cloître Saint-Salvy les restes de chanoines convaincus d’hérésie pour les incinérer, l’Inquisition suscita une révolte à Albi.
En novembre, les dominicains étaient expulsés de Toulouse.
En 1236, la béguine Aleydis fut brûlée vive.
« Cette année-là (ndlr : 1239), le vendredi de la semaine avant la Pentecôte (ndlr : 13 mai), fut fait un immense holocauste agréable au Seigneur en brûlant des Bougres (ndlr : hérétiques cathares) ; 183 furent brûlés en présence du Roi de Navarre et des barons de Champagne au Mont-Aimé » [Aubry du Monastère de Trois-Fontaine (Haute Marne)].
Dans la nuit du 28 au 29 mai 1242, veille de l’Ascension, dans le château d’Avignonet, des chevaliers cathares de Montségur, vinrent tuer à coups de lance, d’épée et de hache les membres du tribunal de l’Inquisition de Toulouse : les dominicains Guillaume Arnaud, Bernard de Roquefort et Garcia d’Aure, les franciscains Étienne de Saint-Thibéry et Raymond Carbonier, le chanoine Raymond de Cortisan, surnommé Escriban, archidiacre de Lezat et son clerc Bernard, le notaire Pierre d’Arnaud, les clercs Fortanier et Aymar, et le curé d’Avignonet dont on ignore le nom.
Le dominicain Raimond de Pennafort (Aragon) rédigea, la même année, le plus ancien manuel d’inquisition.
En 1243, le concile de Béziers décida d’en finir avec l’hérésie et les assassins de moines inquisiteurs.
Mai à juillet 1246 : condamnations de cathares à Toulouse.
Le 30 mai 1254, Innocent IV confia aux Frères mineurs la répression de l’hérésie dans toute l’Italie centrale et dans la partie orientale de la plaine du Pô ; les dominicains gardaient juridiction sur la Lombardie et la Marche de Gênes.
Dans sa bulle du 11 juillet, Innocent IV ordonna que l’interrogatoire de l’accusé soit fait en présence de « boni viri » (prud’hommes qui formaient un jury et donnaient leur avis avant que soit prononcée la sentence), « parce que, disait-¬il, pour une accusation si grave,il fallait procéder avec les plus grandes précautions».
La présence dans les tribunaux de l’Inquisition de ces conseillers laïcs, habitués aux procédures, qui pouvaient s’opposer aux juges ecclésiastiques si ceux-ci s’écartaient trop du droit, assurait la quasi-publicité du procès.
Avant que Boniface VIII (1294-1303) n’abrogeât cette disposition, les noms des accusateurs ou des témoins n’étaient pas communiqués aux accusés. Toutefois le juge devait communiquer le nom des dénonciateurs et des témoins à ses assistants qui devaient contrôler s’il y avait des abus, et au besoin pouvaient les dénoncer aux chefs religieux de l’Inquisiteur, aux évêques, voire même au pape.
En 1261, Urbain IV ordonna que les « boni viri » eussent également ce pouvoir de contrôle. Les faux témoins lorsqu’ils étaient démasqués étaient traités avec une très grande sévérité. Ils faisaient généralement de la prison à vie…
A la demande de Louis IX, Alexandre IV (1254-1261) établit des inquisiteurs en France.
Lorsque l’Inquisition arrêta, comme hérétique, Arnaud de Villeneuve (1235-1311), le plus célèbre des médecins de l’école de Montpellier, Boniface VIII (1294-1303) qu’il avait guéri d’une lithiase rénale, intervint pour lui épargner le bûcher : néanmoins, ses traités de théologie furent, après sa mort, brûlés en place publique.
En 1270, un manuel d’Inquisition, la « Summa de officio Inquisitionis », mentionnait les « augures et idolâtres » qui s’adonnent au « culte du démon ».
Le bienheureux pape Benoît XI (1303-1304), sage et modéré, restreignit les pouvoirs de l’Inquisition.
En 1305, le pape Clément V proclama une croisade contre les apostolici (apostoliques) en Valsesia.
En 1307, le Grand Maître Jacques de Molay et les chevaliers du Temple, accusés d’hérésie, d’idolâtrie, etc., comparurent devant le tribunal de l’Inquisition.
Le château de Montcaillou fut détruit en 1308 : les cathares qui s’y trouvaient furent arrêtés et conduits à Carcassonne devant le tribunal de l’Inquisition.
En 1310, à Toulouse, devant l’inquisiteur Bernard Gui, 18 personnes furent brûlées sur le bûcher, 65 furent emprisonnées à vie dont 3 avec des chaînes, tandis que 20 étaient condamnées à des pèlerinages vers des terres lointaines.
En 1320, mourut en détention le franciscain Bernard Délicieux (Deliciosi) qui défendit les albigeois contre l’Inquisition à Carcassonne et qu’on accusa également d’avoir empoisonné le pape Benoît XI dont il avait annoncé la mort.
Par la décrétale « Cum Matthaeus », Jean XXII restreignit, en 1321, les pouvoirs des inquisiteurs.
À Carcassonne, en 1330, l’inquisiteur Henri de Chamay fut obligé de renoncer à des procès posthumes.
En 1336, à Erfurt, le bégard Constantin fut exécuté pour avoir soutenu qu’à l’égal du Christ il était le fils de Dieu, que Augustin, les docteurs de l’Église, le pape et les clercs trompaient les hommes, et que les sacrements n’étaient qu’une fiction entretenue par les prêtres pour satisfaire leur cupidité.
En 1337, Guillaume d’Occam (« Dialogus »), excommunié et menacé d’arrestation, dut quitter Paris et s’enfuir à Pise.
La même année, on brûla le « spirituel franciscain » Francesco de Pistoia à Venise.
En 1340, à Aurillac, Jean de Roquetaillade, en raison de ses sympathies pour les fraticelles (franciscains hérétiques), fit l’objet d’une première mise en garde de l’Inquisition.
Auteur du traité « De la quintessence », Jean de Roquetaillade, naquit en Catalogne et fit ses études à Toulouse où il s’initia aux travaux de l’alchimiste Arnaud de Villeneuve. Prédicateur et missionnaire franciscain spirituel, alchimiste, prophète, il parcourut l’Europe, prêchant jusqu’à Moscou. Hostile à la corruption de l’Église et à la politique du pape Jean XXII, il proclama que Rome serait dépouillée du superflu dont elle a abusé.
Arrêté à Avignon en 1349, il n’échappa au bûcher que grâce à une habile défense. Jeté en prison, il fut libéré après une longue détention.
1402-1403 : à Lübeck et à Wismar, l’inquisiteur Schoneveld envoya au bûcher, deux apostoliques (adeptes d’un mouvement prônant le retour à l’Eglise primitive) dont les propos mêlaient dolcinisme et Libre-Esprit.
En 1411, à Carcassonne, les décisions prises par l’inquisiteur Pierre de Marvejols furent remises en cause par la Papauté.
Jan Hus, réformateur tchèque, enseigna la théologie à Prague et critiqua les abus du clergé de son temps. Auteur de « De corpore Christi », de pure doctrine catholique, on le chassa pourtant de l’Université en 1410 puis on l’excommunia lorsqu’il s’éleva contre la décapitation de trois de ses partisans qu’il considérait et honorait comme martyrs. Jan Hus poursuivit son enseignement jusqu’en 1414 où il fut emprisonné et accusé d’hérésie.
Le concile de Constance condamna Jan Hus, son disciple Jérôme de Prague et John Wyclif (à titre posthume) comme hérétiques. Jan Hus fut brûlé vif à Constance le 6 juillet 1415. En 1416, ce fut le tour de Jérôme. Le cadavre de Wyclif fut exhumé et brûlé en 1428 et on jeta ses cendres dans la Swift.
Le tribunal de l’Inquisition, qui siégeait à Rouen entre le 9 janvier et le 30 mai 1431, jugea Jeanne d’Arc, la condamna comme relapse et la livra au bras séculier qui la fit brûler vive.
Le 7 juillet 1438, par la Pragmatique sanction de Bourges, Charles VII supprima l’inquisition en France.
En 1452, Jacques de la Marche publia son « Dialogus contra fraticellos ».
Il réussit, avec l’aide de Jean de Capistran, à extirper l’hérésie (que Jean XXII appelait le « fléau pestilentiel du fraticellianisme ») par une série de procès d’extermination.
Les inquisiteurs, qui furent l’objet de tentatives d’assassinat, ne vinrent à bout des fraticelles de Maiolati (1449) que par une politique de terreur et de calomnies. Rééditant l’accusation de débauche adressée jadis aux vaudois, l’enquête leur attribuait le rite particulier du « barilotto », où les enfants, nés des orgies collectives qui clôturent leurs assemblées, sont mis à mort et réduits en cendres que l’on mêle à du vin.
Dénoncé, le franciscain Bernard Tremosii était arrêté à Lyon en 1458.
Inquisition espagnole
En 1478, Sixte IV, dans sa bulle « Exigit sincerae devotionis », autorisa officiellement l’Inquisition espagnole demandée par Ferdinand V et Isabelle :
« Nous apprenons que dans différentes cités de vos royaumes d’Espagne, nombre de ceux qui, de leur propre gré, avaient été régénérés en Jésus-Christ par les eaux sacrées du baptême sont retournés secrètement à l’observation des lois et coutumes religieuses de la superstition juive… encourant les pénalités prononcées contre les fauteurs de l’hérésie, par les constitutions du pape Boniface VIII. En raison des crimes de ces hommes, et de la tolérance du Saint-Siège à leur égard, la guerre civile, l’homicide et des maux innombrables affligent vos royaumes… Nous désirons donc faire droit à votre pétition et appliquer les remèdes propres à soulager les maux que vous nous signalez. Nous vous autorisons à désigner trois, ou au moins deux évêques, ou hommes éprouvés, qui soient prêtres séculiers, religieux d’ordre mendiant ou non mendiant, âgés de quarante ans au moins, de haute conscience et de vie exemplaire, maîtres ou bacheliers en théologie, ou docteurs et licenciés en droit canon, soigneusement examinés et choisis, craignant Dieu, et que vous jugerez dignes d’être nommés pour le temps présent, dans chaque cité ou diocèse des dits royaumes, selon les besoins… En outre, nous accordons à ces hommes à l’égard de tous ceux accusés de crime contre la foi, et de ceux qui les aident et les favorisent, les droits particuliers et juridictions tels que la loi et la coutume les attribuent aux ordinaires et aux inquisiteurs de l’Hérésie ».
En 1480, Sixte IV permit à Ferdinand et à Isabelle d’Aragon de nommer des inquisiteurs ; la sainte Inquisition s’installa à Séville (expulsion ou conversion forcée des juifs et des Maures, condamnations pour hérésie).
La foi des « nouveaux chrétiens » étant suspecte, l’Inquisition exerça une surveillance rigoureuse sur les morisques (Maures convertis) et davantage encore sur les marranes (Juifs convertis suspects de « judaïser » en secret). Parmi eux se recruta la majeure partie de ceux qui comparaissaient dans les « autos de fe » organisés à partir de 1481.
Au début de la cérémonie solennelle de l’ « auto de fe », les assistants (et même le roi, s’il est présent) prêtaient serment de fidélité au Saint-Office.
Les condamnés impénitents et les relaps étaient remis au bras séculier, l’exécution par le feu ayant lieu ensuite en un autre endroit ; ceux qui adjuraient leurs erreurs étaient « réconciliés » et condamnés à des peines pouvant aller de la simple pénitence ecclésiastique et du port du « san benito » (casaque jaune croisée de rouge) à la prison perpétuelle.
En 1482, Tomás de Torquemada (1420-1498), frère prêcheur et confesseur de la reine Isabelle de Castille et du roi Ferdinand d’Aragon, était nommé inquisiteur général en Castille et en Aragon par le pape (sa juridiction fut étendue à la Catalogne en 1486).
Torquemada entra en même temps dans le Conseil du roi.
Il réorganisa l’Inquisition, avec quatre tribunaux importants et une cour d’appel, où il siégeait.
Il se montra si impitoyable qu’il suscita la réprobation de Sixte IV en 1483.
En 1484, Torquemada promulgua un code de procédure pour agir contre les juifs, les morisques, les hérétiques et les gens coupables de sorcellerie, de bigamie, d’usure, etc. Un nombre impressionnant de suspects furent poursuivis, parmi lesquels plus de 2 000 furent exécutés.
Torquemada fut l’un de ceux qui conseillaient à Ferdinand et à Isabelle d’expulser les morisques de leurs États, ce qui fut fait en 1492.
A la parution du décret du 30 mars 1492, les Juifs durent choisir entre le baptême et l’exil. A partir de 1501, la même mesure fut appliquée aux Maures.
En 1494, âgé et malade, Torquemada se retira à Ávila, où il mourut
Contre les illuminés (« les alumbrados » qui voyaient dans l’amour charnel la réalisation de l’amour divin) et les érasmiens, l’Inquisition engagea, après 1525, des poursuites qui aboutirent généralement à des condamnations modérées.
Lorsque, au début du règne de Philippe II, furent découverts, à Séville et Valladolid, des noyaux protestants, la réaction fut brutale : les « autos de fe » organisés dans les deux villes en 1559 et 1560 firent périr plusieurs dizaines de personnes, tandis que l’archevêque de Tolède était lui-même emprisonné comme suspect d’hérésie.
Sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, à cause de leur pensée trop mystique, furent inquiétés ; surtout Jean de la Croix qui fut privé de toute charge et envoyé dans le lointain monastère de la Peñuela, en pleine montagne.
L’Inquisition espagnole ne sera officiellement abolie qu’en 1834 par le gouvernement de la régente Marie-Christine.
Chasse aux sorcières en Allemagne
Le 5 décembre 1484, Innocent VIII, par la bulle « Summis desiderantes », étendit les pouvoirs des deux inquisiteurs de Cologne, les dominicains Henri « Institoris » (Heinrich Kramer de Sélestat) et Jakob Sprenger, officiant dans la Germanie supérieure entre Cologne et Mayence, et en butte à la mauvaise volonté des autorités locales.
La bulle ordonnait de pourchasser les coupables de sorcellerie, jeteurs de sorts et magiciens, et énumérait une longue liste de leurs crimes :
« en certaines régions de la Germanie supérieure comme dans les provinces, cités et territoires de Mayence, Cologne, Trèves, Salzbourg et Brême, maintes personne de l’un et l’autre sexe, oublieuses de leur propre salut et déviant de la foi catholique, se sont livrées elles-mêmes au démons, succubes et incubes : par des incantations, des charmes, des conjurations, d’autres infamies superstitieuses et des sortilèges, par leurs excès, crimes et délits, elles font périr et détruisent les enfants des femmes, les petits des animaux, les moissons de la terre, les raisins des vignes, les vergers, les prairies, les pâturages, les blés, les grains, les légumes. Elles affligent et torturent les hommes, les femmes, les bêtes de somme, le gros et le petit bétail, tous les animaux par des douleurs et des tourments internes et externes. Elles empêchent les hommes de féconder, les femmes de concevoir, les époux de rendre à leurs épouses et les épouses de rendre à leurs époux les devoirs conjugaux. Et la foi elle-même, qu’elles ont reçue en recevant le saint baptême, elles la renient d’une bouche sacrilège. Elles ne craignent pas de commettre [...] d’autres crimes et excès infâmes, à l’instigation de l’Ennemi du genre humain, au péril de leurs âmes, en offense à la majesté Divine, en exemple pernicieux et au scandale de la plupart des gens »
Les chasseurs de sorcières eurent les pleins pouvoirs : celles qui ne mouraient pas sous la torture, étaient noyées lors du « jugement de Dieu » ou brûlées sur le bûcher.
En 1486, les dominicains Heinrich Kramer, de Sélestat, dit Institoris, et Jakob Spenger, publièrent à Strasbourg, avec l’approbation du pape, un traité de démonologie, le « Malleus maleficarum » (le Marteau des Sorcières) pour les écraser.
En 1487, le pape Innocent VIII lança contre les vaudois (qui prêchaient la pauvreté) une croisade en Dauphiné et en Savoie.
En 1494, le « Repertorium inquisitorum » reprit l’essentiel du « Directorium » d’Eymerich.
Le 19 mai 1498 s’ouvrit le procès du dominicain Jérôme Savonarole qui prêchait contre une société dégénérée recherchant le profit, le luxe et la gloire, et qui dénonçait les dépravations dont souffrait l’Église (d’abord excommunié par Alexandre VI le 12 mai 1497 puis condamné au bannissement, il avait été arrêté à la suite d’un mouvement populaire suscité par l’aristocratie florentine).
Le tribunal, composé de 18 membres, était présidé par le maître général des dominicains et un nonce apostolique. Torturé, Savonarole avoua tout ce qu’on voulut.
Le 23 mai, Savonarole était déclaré hérétique et schismatique et condamné à mort avec deux disciples : on les pendit sur-le-champ, leurs corps furent brûlés en public et leurs cendres jetées dans l’Arno.
En 1499, à Cordoue, 107 hérétiques furent livrés au bûcher en une seule fois
En 1509, le Grand Conseil du Parlement de Grenoble cassa des sentences de l’Inquisition.
En 1516, dans l’église Saint-Ange de Palerme, était découverte une fresque représentant sept archanges avec leurs noms et attributs : Michel victorius (vainqueur), Gabriel nuncius (annonciateur), Raphaël medicus (médecin), Uriel fortis socius (puissant protecteur), Jehudiel remunerator (celui qui récompense), Barachiel adjutor (celui qui aide), Seatiel orator (porte-parole).
La Sainte Inquisition donna l’ordre d’effacer ces noms. Un retable de l’église Sainte-Marie-des-Anges représente les mêmes archanges.
Le 1er juillet 1523, à Bruxelles, Henri Voes et Jean Van Essem, moines augustins partisans de Luther, condamnés à mort par l’Inquisition, furent brûlés vifs.
Un autre moine augustin, Jean Vallière, subit le même sort à Paris la même année.
Jean III du Portugal créa, à partir de 1536, une Inquisition d’État chargée de poursuivre les hérétiques.
Le 21 juillet 1542, par la bulle « Licet ab initio », Paul III (sous l’impulsion du cardinal Carafa) créa la Congrégation de la Sainte, Romaine et Universelle Inquisition ; six cardinaux dont l’impitoyable Carafa (futur Paul IV) furent nommés inquisiteurs généraux.
En 1547 le pape accorda un tribunal de l’Inquisition au roi du Portugal Jean III (en 1750, Carvalho e Melo, marquis de Pombal, premier ministre, interdira les autodafés et retirera tous droits à l’Inquisition).
En 1555, Paul IV, inquisiteur suprême, relança l’Inquisition.
En 1570, Pie V soustrayait les Amérindiens à la juridiction de l’Inquisition.
En 1599, dans « Six livres de discussions magiques », le jésuite Martin Del Rio affirma qu’en matière de sorcellerie, tous les témoignages sont acceptables pour soumettre un suspect à la torture.
A Rome, le 17 février 1600, Giordano Bruno, d’inspiration néo-platonicienne et panthéiste, qui soutenait l’héliocentrisme de Copernic et pour qui « l’infini recèle une pluralité de mondes », condamné à mort par le Tribunal de l’Inquisition, fut brûlé vif après qu’on lui eut arraché la langue pour les « affreuses paroles qu’il avait proférées ». Ceux qui assistaient à l’exécution bénéficièrent d’indulgences.
En 1631, un jésuite allemand, Friedrich Spee von Langenfeld (1591-1635) publia anonymement sa « Cautio Criminalis » dans laquelle il dénonçait les procès en sorcellerie illégitimes et inhumains, la torture brutale et l’extermination systématique d’innocents : des malheureuses, qui n’ont de sorcières que le nom, sont arrêtées, emprisonnées, torturées et condamnées au bûcher que pour avoir été accusées par d’autres inculpés eux-mêmes soumis à d’effroyables tortures.
Quand il publia en 1632 une seconde version plus critique que la première, il perdit la protection de la Compagnie de Jésus qu’il dut quitter.
Galilée
En octobre 1632, Galilée (Galileo Galilei) fut convoqué devant la sainte Inquisition pour répondre de son livre « Dialogue des grands systèmes » sous l’accusation de « sérieuse suspicion d’hérésie ». Cette charge reposait sur un rapport selon lequel il avait été ordonné personnellement à Galilée, en 1616, de ne pas discuter du système de Copernic, ni oralement, ni par écrit, et de ne l’évoquer que comme une simple hypothèse. Le pape Urbain VIII, influencé par les dominicains, ces chiens de garde (Domini canes) comme ils se nomment eux-mêmes, avait cru que Galilée se moquait de lui et il s’était emporté contre son ami le savant.
Le 22 juin 1633, au terme d’un procès commencé le 12 avril, Galilée fut jugé pour avoir « transgressé le monitum de 1616 » (avertissement par lequel il s’était engagé à ne plus présenter la théorie copernicienne que sous forme d’hypothèse) « et obtenu l’imprimatur par tromperie » (Mgr Riccardi, chargé d’examiner le « Dialogue des grands systèmes », n’a eu connaissance que de la préface et de la conclusion habilement rédigées). Galilée présenta un certificat signé par feu le cardinal Bellarmin stipulant qu’il n’était plus soumis à aucune restriction autre que celle appliquée à tout catholique romain.
Galilée fut condamné à la récitation des psaumes de la pénitence une fois par semaine pendant trois ans (les psaumes furent récités par sa fille religieuse carmélite), à l’abjuration du système héliocentrique de Copernic (il se rétracta à genoux) et à la détention (mais il ne resta qu’une année en prison : le pape lui ayant permis de demeurer jusqu’à la fin de sa vie dans sa villa d’Arcetri, près de Florence).
Le « Dialogue » fut interdit et mis à l’index en août 1634.
Galilée mourut le 8 janvier 1642 ; l’Eglise interdit des funérailles publiques.
Le 31 octobre 1992, lors de son discours aux participants à la session plénière de l’Académie pontificale des sciences, le pape Jean-Paul II se prononce pour la réhabilitation de Galilée : Galilée est qualifié de « physicien de génie » et de « croyant sincère », il s’agit « d’une tragique et réciproque incompréhension », il y a « bonne foi » de tous les acteurs du procès « en l’absence de documents extraprocessuels contraires » : le cardinal Poupard, président de la commission d’étude du cas Galilée, déclare : « Il nous faut reconnaître loyalement les torts causés ».
En 2009, le Vatican s’associe à l’Année mondiale de l’astronomie à l’occasion du 4e centenaire de la première utilisation de la lunette astronomique de Galilée ; il promeut plusieurs initiatives dont un congrès sur Galilée qui se tiendra à Florence du 26 au 30 mai 2009.
Clément XIV (1769-1744), hostile à la philosophie des lumières, réactiva l’Inquisition.
Le 16 avril 1791, le comte de Cagliostro (Joseph Balsamo), franc-maçon (fondateur du Rite de Misraïm en 1788), alchimiste, spirite, médium et hypnotiseur, fut condamné par l’Inquisition romaine à la prison perpétuelle pour sacrilège, hérésie, démonisme et complot.
Il mourut le 28 août 1795 dans la forteresse Saint-Léon ; certains prétendent qu’il fut étranglé sur ordre du pape Pie VI.
Le 7 mars 1820, le soulèvement, lancé par le colonel Riego à Cadix le 1er janvier, contraignit le roi d’Espagne, Ferdinand VII, à adopter un régime constitutionnel et à abolir l’Inquisition (elle ne sera définitivement abolie qu’en 1834 par sa veuve, la régente Marie-Christine).
En février 1821, le conseil du roi du Portugal, Jean VI, décréta la suppression du Tribunal de l’Inquisition.
En 1908, la Congrégation de la Sainte Inquisition devint la Congrégation du Saint-Office (Sanctum Officium).
En 1917, le Saint-Office interdit le spiritisme :
« Le 24 avril 1917, en séance plénière, aux Eminentissimes et Révérendissimes Seigneurs Cardinaux, Inquisiteurs généraux de la Foi et des Mœurs, on a demandé : « S’il était permis, par médium, comme on les appelle, ou sans médium, en usant ou non d’hypnotisme, d’assister à quelque manifestation spirite que ce soit, même présentant un aspect d’honnêteté ou de piété, soit en interrogeant les âmes ou esprits, soit en écoutant les réponses, soit comme observateurs, même avec l’affirmation, tacite ou exprimée, de ne vouloir aucun commerce avec les esprits malins ». Les Eminentissimes et Révérendissimes Pères ont répondu NON, sur tous les points. Le 26 du même mois, S.S. Benoît XV a approuvé la résolution des Eminents Pères qui lui avait été soumise ».
En 1965, la Congrégation du Saint-Office fut rebaptisée Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi par Paul VI.
Procédure inquisitoriale
La procédure inquisitoriale se composait de six parties : le temps de grâce, l’appel et la déposition des témoins, l’interrogatoire des accusés, la sentence de réconciliation des hérétiques repentants et de condamnation des entêtés, et enfin l’exécution de la sentence.
Tout d’abord, lorsqu’une hérésie se déclarait dans une région l’inquisiteur s’y rendait avec le personnel de son tribunal. Ensuite, il visitait les autorités civiles pour s’assurer de leur protection et de leur concours (sous peine de sanction).
Puis, l’inquisiteur promulguait deux édits : l’édit de foi qui ordonnait sous peine d’excommunication de dénoncer les hérétiques et leurs complices, et l’édit de grâce qui donnait un délai de 15 à 30 jours aux hérétiques pour obtenir le pardon s’ils se dénonçaient eux-mêmes spontanément.
Parmi les gens recherchés, il y avait les hérétiques (les chefs des sectes), les croyants (les fidèles des assemblées hérétiques), les suspects (ceux qui avaient témoigné du zèle pour les hérétiques), les celatores (ceux qui s’étaient engagés à ne pas dénoncer les hérétiques), les receptores (ceux qui avaient au moins deux fois hébergé des hérétiques pour les protéger, eux ou leur réunion), les defensores (ceux qui avaient pris la défense des hérétiques en parole ou en acte contre l’Inquisition), les relaps (ceux qui après avoir abjuré retombaient dans l’erreur).
Le suspect, interrogé par l’inquisiteur ou un de ses collaborateurs, devait s’engager par serment à révéler tout ce qu’il savait sur l’hérésie. Un notaire, en présence de témoins, recueillait les éléments de l’interrogatoire, mais en retenant seulement la substance des réponses, ce qui paraissait exprimer le mieux la vérité. Toujours rédigé en latin, le texte, traduit en langue vulgaire, était ensuite lu à l’accusé qui devait s’en remettre à la volonté des inquisiteurs.
Pour faire avouer les récalcitrants, de nombreux moyens de contrainte pouvaient être employés, en dehors même de la torture, considérée comme licite après le milieu du XIIIe siècle : convocations nombreuses, incarcération plus ou moins confortable, recours à des délateurs. À défaut d’aveux, la preuve de l’hérésie était administrée par des témoins.
Les Inquisiteurs, choisis avec précaution, étaient, du fait de leur appartenance à des ordres religieux, sous la surveillance de leur supérieur et devaient avoir un minimum de 40 ans. De plus, les membres qui composaient les tribunaux se devaient les uns les autres la correction fraternelle, afin de limiter tout abus. Contre celui qui ne tenait pas compte des observations qui lui étaient faites, les membres des tribunaux devaient faire appel au pape.
Le dominicain Bernard Gui (inquisiteur de 1307 à 1323), dans son Manuel « Practica Inquisitionis haereticae pravitatis » (1324), nous montre le modèle de l’inquisiteur :
« Parmi les difficultés et les incidents contraires, il doit rester calme, ne jamais céder à la colère et à l’indignation. Il doit être intrépide, braver le danger jusqu’à la mort ; mais, tout en ne reculant pas devant le péril, ne point le précipiter par une audace irréfléchie. Il doit être insensible aux prières et aux avances de ceux qui essaient de le gagner ; cependant, il ne doit pas endurcir son cœur au point de refuser des délais ou des adoucissements de peines, suivant les circonstances et les lieux… Dans les questions douteuses, il doit être circonspect, ne pas donner facilement créance à ce qui paraît probable et souvent n’est pas vrai ; car ce qui paraît improbable finit souvent par être la vérité. Il doit écouter, discuter et examiner avec tout son zèle, afin d’arriver patiemment à la lumière. Que l’amour de la vérité et la pitié, qui doivent toujours résider dans le cœur d ‘un juge, brillent dans ses regards afin que ses décisions ne puissent jamais paraître dictées par la convoitise et la cruauté ».
En 17 ans de « carrière », Bernard Gui prononça 930 jugements dont 42 condamnations à mort et commua environ deux peines sur cinq.
On lit dans le manuel de Bernard Gui que les accusés étaient privés d’avocat . On trouve cependant des exemples de procès où des avocats ont pu plaider la cause de l’accusé. Contredisant Bernard Gui, Nicolas Eymeric écrivit dans son Manuel de l’Inquisition « qu’on ne doit pas enlever aux accusés les défenses de droit mais leur accorder un avocat ».
Le dominicain Nicolau Eymerich, inquisiteur général de Catalogne pendant 40 ans, rédigea, en 1376, à la cour papale d’Avignon où il exerçait les fonctions de chapelain de Grégoire XI, un Manuel des inquisiteurs (« Directorium inquisitorum »).
L’ouvrage, réédité cinq fois par Rome entre 1578 et 1607, décrit soigneusement les procédures et les techniques d’interrogatoire :
« Lorsque l’inquisiteur a affaire à un hérétique retors, audacieux, rusé, qui élude les questions et tergiverse, il doit lui rendre la pareille et user de ruse afin d’acculer l’hérétique à dévoiler ses erreurs [.] Et lorsque l’accusé sera face à l’accusateur et que celui-ci s’apercevra que l’accusé ne veut toujours pas avouer, l’inquisiteur lui parlera calmement. Il lui tiendra ce type de langage : « Tu vois, j’ai pitié de toi. On a abusé de ta simplicité, et tu vas perdre ton âme à cause de la bestialité d’un autre. Bien sûr, tu es un peu coupable! Mais ceux qui t’ont égaré le sont bien davantage ! »[...] Si l’hérétique s’en tient à ses dénégations, l’inquisiteur feindra d’avoir à partir pour longtemps, et il dira à peu près : « Vois-tu, j’ai pitié de toi [...] Tu ne veux pas avouer, et voilà que tu m’obliges ainsi à te garder en prison jusqu’à mon retour… Ça me fait de la peine, tu sais, car je ne sais pas quand je reviendrai. » »