Quid de la chevalerie aujourd’hui ?
Quid de la chevalerie aujourd’hui ?
La grande difficulté pour faire admettre et comprendre l’intérêt de la philosophie, vient de l’état d’esprit contemporain, notamment dans deux de ses traits de caractères :
le primat de l’efficacité, et la réduction du savoir aux seuls critères de la science positive.
Etat d’esprit utilitaire : Le savoir doit servir à produire.
Ainsi par exemple, la recherche scientifique doit arriver à des résultats industriellement exploitables pour pouvoir se dire sérieuse. Les études doivent offrir des « débouchés » pour être jugées dignes d’être poursuivies. La formation et les expériences professionnelles doivent développer la rentabilité pour justifier leurs coûts. Etc. … Tout est jaugé à l’étalon de l’efficacité. Comment dans cette perspective, s’étonner que faire de la philosophie semble bien inutile. Celle-ci offre peu de prolongements pragmatiques, elle cultive une grande part de recherche pour le seul plaisir de savoir, elle n’offre aucun métier !
Scientificité moderne: Les sciences se spécialisent à outrance. Chaque branche d’hier se divise aujourd’hui en plusieurs sous branches, elles-mêmes amenées sans doute plus tard à éclater. Ces sciences ne retiennent pour vrai que ce qu’elles démontrent avec le plus de rigueur, en s’approchant tant que faire se peut du modèle mathématique. Leur objet est de plus en plus techniquement élaboré, et exige des investissements matériels formidables. Leur intérêt se porte presque exclusivement aux limites du savoir humain: la particule la plus petite, la galaxie la plus éloignée, l’ancêtre le plus âgé, le froid le plus absolu, etc. … Or la philosophie procède exactement à l’inverse : elle tend vers une vision unifiée au travers de divisions peu nombreuses et mutuellement ordonnées, elle ne se limite pas à l’absolument certain, mais balaye tous les niveaux de connaissance, l’élaboration de son objet n’a rien à voir avec la technique: pas de laboratoire ni d’instruments sophistiqués, et elle s’intéresse autant, voire plus, au courant de la réalité qu’à ses cas limites.
A cela s’ajoute une deuxième source d’incompréhension: le reniement des philosophes contemporains. Devant l’envahissement victorieux de cet état d’esprit moderne, les philosophes du siècle, plutôt que d’affirmer la légitime spécificité de leur discipline, ont crû bon de se réfugier dans deux attitudes d’abandon:
‑ Soit ils ont embrayé le pas des savants et des efficaces, et les ont singés en prétendant apprendre une ou plusieurs sciences positives ( Michel SERRE ne déclare-t-il pas qu’on ne peut se dire philosophe si l’on n’a pas fait le tour complet de l’ensemble du savoir scientifique ! ), ou en affirmant que la philosophie peut apporter une efficacité imparable dans la solution de certains problèmes notamment humains ou sociaux.
‑ Soit ils se sont cantonnés dans des spécialités secondaires, et parfois bizarres, que la science et l’efficacité ont encore épargnées: l’esthétique, la linguistique, la mystique (de préférence orientale), etc.
En conclusion, la domination de l’esprit positif et la lâcheté des philosophes ont consommé l’incompréhension vis à vis de la philosophie traditionnelle.
La victoire de la mentalité moderne parait pourtant de plus en plus précaire. Fréquemment, l’esprit d’efficacité à petite ou moyenne échelle montre sa dangereuse incapacité à plus grande échelle: ainsi par exemple l’accroissement considérable de la productivité agricole engendre des surplus alimentaires qu’il faut détruire, alors qu’à quelques milliers de kilomètres, la famine fait rage sur le tiers du globe; de même, le succès dans la manipulation périlleuse de l’atome s’est accompagné d’un risque de destruction inimaginable auparavant; également, le développement sans précédent des moyens de communication est si concomitant à l’extension de l’inculture et de l’analphabétisme, qu’on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’en est pas la cause; et que dire de la génétique, qui cause aujourd’hui plus de mort que de vie ? …
Parallèlement, la méthodologie scientifique classique subit le doute de façon renouvelée depuis plusieurs décennies. Le hasard et l’indéterminisme l’envahissent de plus en plus et bouleversent sa rigueur mécaniste, l’atomisation extrême des sciences actuelles perd le savant qui devient spécialiste d’une partie de partie d’un sujet; enfin l’irréductibilité de la plupart des faits à l’idéal mathématique devient une évidence chaque jour plus claire.
De sorte que le monde actuel aspire à « autre chose », sans savoir bien quoi, tout en redoutant toujours les disciplines taxées de « pré-scientifiques ». Ainsi, tous les savants, dès qu’ils ont quelque notoriété, se mettent en devoir de réfléchir et d’écrire sur leur science, comme PLANCK, MONOD, REEVES … Ils répondent souvent au désir de traduire en langage courant, non scientifique, la portée des conclusions de leur savoir, afin de se faire comprendre, et, qui sait, de se comprendre eux-mêmes. Plus loin, ils manifestent parfois la volonté de retrouver, à partir de leur science particulière, une conception globale de l’univers et de l’homme.
Même mouvement dans l’éducation et la formation: de nombreux courants rénovateurs de la pédagogie veulent former l’ « humaniste » au-delà du spécialiste. L’idéal est l’homme qui a de bonnes connaissances sur tous les principaux sujets. Dans le domaine économique, par exemple, on recherche de plus en plus des « hommes de synthèse » dont le savoir consiste essentiellement à gouverner, organiser, motiver, au lieu de techniciens pointus.
Pareillement, germe un peu partout le désir d’une vie plus « spirituelle », moins matérialiste, tournée vers la réalisation de soi et d’autrui, au détriment de l’efficience productrice: « être plutôt qu’avoir ! ».
Toutes ces tendances s’avivent mutuellement, refusent encore de se reconnaître comme des remises en cause de l’idéologie contemporaine, et ne savent comment s’y prendre pour parvenir à bon port. La conséquence immédiate, qui fleurit aujourd’hui, c’est que les personnes mues par ces désirs confus sont la proie facile des charlatans nombreux qui prétendent les guider: sectes religieuses, maçonneries de tous bords, centres soi-disant de « formation humaine », carriéristes politiques roses, verts ou caméléons, nombre de cabinets « psy »
En conclusion, deux constatations:
1 °) Ces désirs, comme aspirations, sont ancestraux et impérieux.
2°) Ils sont particulièrement exacerbés aujourd’hui et pourtant notre monde ne sait pas y répondre.
De là à penser que c’est dans ce qu’il rejette que se trouve la vraie solution, il n’y a qu’un pas.
Or les principales questions ont toutes été posées avant SOCRATE, il y a quelques vingt-cinq siècles, au sujet de la nature et de l’homme:
La terre tourne-t-elle autour du soleil ou non ? La matière est-elle composée d’atomes ? Tout n’est-il que matière ? L’univers a-t-il une origine ou est-il éternel ? Le mouvement est-il dialectique ? L’homme vient-il de l’animal ? L’histoire a-t-elle un sens ? Y a-t-il une vérité ou plusieurs ? Où est le bonheur de l’homme ? La démocratie est-elle le meilleur régime politique ? Que peut-on dire de Dieu ? L’homme a-t-il une âme ? Est-il libre ?
Avec le bouleversement scientifique, les inquiétudes de l’homme n’ont pas changé. Les grands types de réponses non plus: Matérialisme, Idéalisme, Moralisme, Opportunisme, Scientisme, Mysticisme, Réalisme.
A l’époque d’Aristote et plus encore à celle de Thomas d’Aquin, tant le cadre d’interrogations que les grandes options de solutions étaient déjà posés. Ces deux auteurs sont chronologiquement arrivés au couronnement intellectuel d’une société à l’apogée de sa civilisation, antique ou médiévale. L’étude historique laisserait même entendre qu’avec eux, ces civilisations seraient parvenues au maximum de leur effort. Et comme épuisées par ce dépassement d’elles-mêmes, elles se seraient rapidement écroulées et ne produiraient plus que des épigones d’intérêt moindre, avant de sombrer dans un obscurantisme définitif et de laisser la place à d’autres civilisations: Rome ou la renaissance (Aristote fit une analyse en partie comparable à propos de la naissance de la philosophie en Egypte et nous pourrions sans doute l’appliquer à saint Augustin pour Rome). Cette seule preuve de succès séculaire et général est une invitation à les voir comme les sommets de la philosophie, et la source toujours actuelle d’une véritable sagesse.
C’est sur ce fait historique que doit reposer au départ notre confiance intellectuelle; c’est lui qui doit nous inciter à préférer a priori ces auteurs plutôt que d’autres pour mettre notre initiation sur les meilleures bases possibles.
Notre point de départ pourrait donc être la notion de BIEN car c’est elle qui est finalement à la racine de toute démarche.
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