Les Ordres au XII° ET XIII° siècle

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Les tribulations subies par l’Église aux XII° et XIII° siècles, du fait des souverains d’Europe et, ainsi que nous le verrons au prochain chapitre, des hérésies et des expéditions d’Orient, ne l’empêcha pas de développer une vie intérieure très intense et particulièrement fructueuse : naissance de nouveaux ordres monastiques, développement de l’enseignement philosophique et théologique, réveil de la foi du peuple par les « frères prêcheurs », élévation des âmes par les écrits des auteurs mystiques. Mais aussi élévation vers Dieu de la pierre priante, dans l’art des bâtisseurs d’églises.

1 Le Monachisme

Après avoir connu leur apogée, les congrégations bénédictines, fondées en vue de réformer la vie monastique, commençaient à connaître un mouvement de décadence. La puissante congrégation issue de l’abbaye bénédictine de Cluny ne put y échapper. Une nouvelle réforme s’avérait nécessaire; elle vint de deux ordres nouveaux : les Chartreux et les Cisterciens.

Les Chartreux (ordre fondé en 1084)

Saint Bruno (v.1035-1101), fondateur de l’ordre, fut un brillant élève de l’Université de Paris, puis maître enseignant à Reims, où il eut comme élève le futur pape Urbain II. Épris de solitude il quitta l’enseignement et se retira à l’abbaye de Molesmes et y vécut sous la direction de saint Robert, le futur fondateur de Cîteaux. Il se rendit ensuite, accompagné de quelques disciples, dans le désert de la Chartreuse, près de Grenoble et y fonda avec l’aide de saint Hugues, évêque de cette ville, le plus sévère des ordres religieux. La règle imposait aux chartreux solitude, silence, abstinence absolue, prière et travail. Dans le monastère ils vivaient séparés, ne se retrouvant qu’à la prière. À l’oraison et au travail manuel les religieux joignirent bientôt la lecture et la transcription de documents. Les statuts de l’ordre furent approuvés vers 1130. L’ordre, malgré sa sévérité, se développa si rapidement qu’au début du XIII° siècle les Chartreux se répartissaient en 170 monastères masculins et 30 féminins.

Les Cisterciens (ordre fondé en 1098)

Le grand essor monastique vint de Cîteaux. Saint Robert de Molesmes entra à quinze ans chez les moines bénédictins de Montier, près de Troyes. Prieur dès la fin de son noviciat, puis de plusieurs abbayes de l’ordre, il fut ensuite nommé abbé des bénédictins de Tonnerre. Là, il tenta de réformer le relâchement de cette maison. N’y parvenant pas, il se retira en 1073 chez des ermites de la forêt de Molesmes en Côte-d’Or qui le choisirent pour abbé et où, les dons affluant, il fit bâtir un monastère. Nous savons qu’il y a dirigé spirituellement saint Bruno. Mais ne pouvant, à cette exception près, là non plus amender le comportement des moines, il partit s’établir avec vingt et un des plus fidèles, dont Albéric et saint Étienne Harding (v.1065-1134), dans le désert de Cîteaux près de Dijon. La générosité du duc de Bourgogne, Eudes, permit au nouveau monastère de s’agrandir. Toutefois Robert n’y demeura pas longtemps, les moines de Molesmes ayant demandé au pape Urbain II de leur rendre leur abbé. Albéric le remplaça dans sa charge à Cîteaux puis, à la mort de celui-ci en 1109, Étienne Harding.

En 1112 arriva, accompagné de trente compagnons, un novice de vingt trois ans d’une rare qualité : Bernard, fils du seigneur de Fontaine-les-Dijon. Le futur saint Bernard. Dès ce moment Cîteaux, qui ne se trouvait pas en florissant état, reprit vie. Bernard y mena une vie austère, sans faiblesse pour lui-même ni les autres, instaurant une vie monastique plus exigeante encore que celle instaurée par saint Benoît le fondateur de l’ordre. La sainteté de Bernard et ses nombreuses qualités multiplia les vocations. Une année seulement après son arrivée il fallut fonder des maisons-filles : La Ferté (1113), Pontigny (1114), Morimond et Clairvaux (1115). Laissant Cîteaux et son abbé Étienne Harding, Bernard se transporta à Clairvaux.

En 1119 Étienne écrivit la règle du nouvel ordre, dite Charte de charité, qui imposait aux moines cisterciens la pauvreté la plus complète, même dans le culte divin. Dès 1151 existaient cinq cents abbayes cisterciennes, et mille huit cents au XVI° siècle. À Cîteaux même, les moines se firent viticulteurs, créant les vignobles du Clos-Vougeot et de Romanée.

La prospérité croissante des cisterciens rendit nécessaires plusieurs réformes qui donnèrent naissance aux Feuillants et aux Trappistes. L’abbaye fut en partie détruite à la Révolution. L’ordre avait donné quatre papes à l’Église : Eugène III, Grégoire VIII, Célestin IV et Benoît XII.

Clairvaux (fondation en 1115)

Saint Bernard (1091-1153), Docteur de l’Église, fut donc le fondateur et premier abbé de Clairvaux, près de Bar-sur-Aube. À la demande de Hugues duc de Bourgogne, Étienne l’envoya avec vingt religieux dans cette vallée sauvage, repaire de brigands, alors appelée « Val d’absinthe ». Un premier monastère puis un second s’y élevèrent rapidement. Le Val devint l’Illustre vallée (Clara Vallis). Saint Bernard, qui y fut trente-huit ans abbé, y gouverna plus de sept cents religieux, qu’il excita par son exemple et son éloquence à la pratique de la pauvreté, du jeûne et de l’étude.

Clairvaux, comme Cîteaux, était d’origine bénédictine. Mais saint Bernard divergeait sur deux points de la règle de Cluny : contrairement à cette abbaye où rien n’était trop beau pour le service de Dieu, Clairvaux et ses maisons-filles s’imposèrent de vivre dans la nudité du pauvre. D’autre part, alors que Cluny s’adonnait aux travaux de l’esprit, Clairvaux s’occupa au travail manuel. C’est ainsi que, saint Bernard ayant voulu que tout ce qui était nécessaire aux moines fut fabriqué dans son enceinte, le monastère comportait dix sept ateliers.

C’est à Clairvaux que furent formés, outre Eugène III, quinze cardinaux, beaucoup d’archevêques et d’évêques. Plus de huit cents maisons dépendirent de sa juridiction. Les moines qui suivirent cette réforme de saint Bernard furent nommés Bernardins. La ferveur et la prospérité de Clairvaux se maintinrent plusieurs siècles.

Sa bibliothèque était réputée pour ses manuscrits précieux. Là aussi les vignobles furent célèbres. Les bâtiments, abandonnés à la Révolution, furent convertis en maison d’arrêt sous la Restauration.

Le rayonnement personnel de saint Bernard fut important. Il prit une influence grandissante dans les conseils de la cour pontificale. Lorsqu’à la mort d’Honorius II deux papes furent élus, nous avons vu Bernard prendre le parti d’Innocent II contre Anaclet, et c’est à son action puissante qu’Innocent dut son triomphe. Il combattit avec une égale violence Abélard le rationaliste et Arnaud de Brescia l’hérétique. Acharné contre les ennemis de l’Église, il ne cessa de dénoncer les abus qui la mettaient en danger et d’adresser au pape Eugène III, son disciple, d’énergiques avertissements. À partir de 1128 il commença à se mêler des affaires publiques, prenant partie pour l’évêque de Paris et l’archevêque de Sens dans un différent avec le roi Louis le Gros, faisant reconnaître l’ordre des Templiers, appuyant leur créateur Hugues de Payens, rédigeant leurs statuts, prêchant la seconde croisade à Pâques et Noël 1146, intervenant en Lorraine (1153), peu de temps avant sa mort et déjà très souffrant, pour ramener la concorde entre noblesse et bourgeoisie. Nous verrons encore, ci-dessous, son importante contribution à la pensée mystique du Moyen-Âge.

Fontevrault (fondation en 1099)

Le breton Robert d’Arbrissel (1047-1117) fut archidiacre puis vicaire à Rennes et directeur des écoles à Angers avant de se retirer dans la forêt de Craon, vivant d’herbes et de racines, vêtu d’une peau de porc, couchant sur le sol. Ses prédications suscitèrent des disciples, avec lesquels il fonda un premier monastère à la Roé. Chargé par Urbain II de prêcher la croisade il décida plusieurs princes dont le duc de Bretagne à prendre la croix (1096).

Il fonda trois ans plus tard, en Anjou, l’abbaye de Fontevrault, créant ainsi une congrégation qui regroupera, sur la France, jusqu’à soixante communautés.

Prémontré (fondation en 1120)

On donnait à l’époque le nom de Chapitre à des corps de chanoines, attachés à des églises collégiales ou cathédrales pour y assurer des fonctions précises. Face au relâchement de certains chapitres, soit du fait des biens qu’ils administraient, soit qu’ils aient été constitués de cadets de familles nobles n’ayant pas reçu les ordres majeurs, l’Église comprit la nécessité de fonder des communautés de chanoines qui, tout en restant clercs et dirigés par un abbé librement élu, feraient voeu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance.

Ce fut l’origine des abbayes de chanoines réguliers. La plus réputée fut celle fondée à Prémontré par saint Norbert (1092-1134), dans un vallon sauvage de la forêt de Coucy, dans l’Aisne. Saint Norbert, qui avait été foudroyé au cours d’un orage, abandonna alors une vie dissipée pour entrer au monastère avant de parcourir la région rhénane en prêchant la pénitence. Ayant essayé inutilement de réformer le chapitre des chanoines réguliers de Saint-Martin de Laon, il fonda non loin de cette ville son nouvel ordre religieux, voué à la pénitence la plus austère.

Les prémontrés, chanoines réguliers soumis à la règle de saint Augustin, tout en pratiquant les plus rudes austérités assuraient leurs fonctions de ministres ecclésiastiques. Cette institution, approuvée par le pape Honorius II en 1126, fit en quelques années de grands progrès et se répandit dans toute l’Europe..

Quant à saint Norbert le fondateur, il dut se démettre de la direction de son ordre, nommé malgré sa résistance archevêque de Magdebourg. Il se lia d’amitié avec saint Bernard et le pape Innocent II. Grégoire XIII le canonisa en 1582.

2 Les ordres Mendiants

Jusqu’ici, les ordres religieux avaient suivi les deux grandes règles de saint Benoît et de saint Augustin. Au début du XIII° siècle apparaît la règle de saint François, dans laquelle le voeu de pauvreté absolue est le point capital. Pauvreté non seulement des individus, mais de la collectivité. C’est la raison pour laquelle ils furent nommés les Ordres Mendiants.

Les Franciscains

Saint François d’Assise (1182-1226), fils d’un riche drapier de la ville, vécut d’abord d’une façon mondaine. À vingt-deux ans, partant combattre en Apulie, il eut à Spolète une vision : il devait faire demi-tour et changer de vie. Deux ans plus tard, on l’aperçut mendiant dans les rues de Rome, puis, de retour à Assise, priant dans les ruines de la petite église Saint-Damien. Là, le Christ lui dit : « Va, reconstruis ma maison.« . Aussitôt François dépensa tout son avoir à rebâtir l’église. Son père s’en étant fâché, il partit en abandonnant tout y compris ses vêtements, et commença sa vie mendiante de poverello. Durant l’hiver 1209, un troisième avertissement lui fut donné en ces mots : « Allez aux brebis perdues d’Israël, ne prenez ni or ni argent. » Il recruta alors des disciples, leur imposa la pauvreté, la pénitence et la prédication deux par deux. Innocent III reconnut l’ordre en 1210.

Après quelques tentatives de conversion de l’Islam, saint François et ses disciples, de plus en plus nombreux, étendirent l’évangélisation à toute l’Italie ; Rome, Ombrie, Toscane, jusqu’aux Marches, prêchant la réaction contre les richesses du siècle. Les Frères Mineurs, que plus tard on nommera Franciscains, allèrent par monts et par vaux prêchant la pauvreté, capuchonnés de bure, ceints d’une corde, marchant nu-pieds dans des socques de bois. Montrant l’exemple ils eurent une grande influence, qu’ils accrurent encore en créant le Tiers Ordre, une fondation à laquelle tout chrétien pouvait adhérer, participant ainsi aux avantages spirituels des Franciscains.

La Règle fixée par saint François exigeait des religieux une dépossession de tout bien personnel. Acceptée par les premiers disciples, elle fut peu à peu considérée par les nouveaux venus comme un idéal irréalisable, ce qui fut source de conflits au sein même de l’Ordre. Sur la demande du pape, saint François dut donner une forme définitive à sa Règle. Deux ans durant, il lutta pied à pied pour en sauvegarder l’austérité absolue, que le pape voulait assouplir. Amendée, elle fut enfin approuvée par Honorius III en 1223.

Attristé, saint François se retira sur le mont Alverne où, le jour de l’Exaltation de la Sainte-Croix, il fut favorisé des stigmates de la Passion (1224). Avant de mourir, en chantant sa soeur la mort, il rédigea un testament qui maintenait l’austérité première de la Règle.

Cela fut source d’un nouveau conflit : devait-on ou non considérer que le testament obligeait comme la Règle ? En 1230, Grégoire IX se prononça par la négative : les religieux pourront acquérir ce que la mendicité ne leur procurerait pas. Dès lors des abus se commirent; on vit le général de l’ordre, Frère Élie, abandonner le gîte en ermitages et la pratique des quêtes, et ordonner la construction de magnifiques églises et couvents. Grégoire IX dut le déposer en 1239. À l’inverse, on vit les tenants de la pauvreté, nommés les spirituels, attaquer la « communauté » et faire parvenir l’un des leurs au généralat. L’Ordre étant menacé, le pape Alexandre IV exigea l’abdication du général (1255).

La sagesse revint avec saint Bonaventure (1221-74) qui sut tenir compte des avis de chacun et rédigea les Constitutions de l’Ordre. En 1279, le pape Nicolas III régla le problème de la pauvreté : Au Saint-Siège la propriété, aux religieux l’usage en conformité avec leur voeu de pauvreté. Mais le voeu ne suffisait pas, des abus virent encore le jour, et les spirituels entrèrent de nouveau en protestation, attaquant même la bulle de Nicolas III. Les discussions furent très vives et s’éternisèrent. Au XIV° siècle elles tourneront à la révolte et les spirituels deviendront des hérétiques dans l’Église.

Les Clarisses

Un ordre de femmes s’était établi aux côtés de celui des Frères Mineurs, dont la première supérieure fut Sainte Claire (1193-1253). Claire avait fui la maison paternelle à dix-huit ans pour se placer sous la direction spirituelle de saint François d’Assise. Celui-ci la consacra à la vie religieuse dans une petite maison où sa mère et sa soeur, gagnées par son enthousiasme religieux, vinrent se joindre à elle, et qui fut le premier monastère de l’ordre des Clarisses. Saint François en écrivit la règle et la nouvelle fondation fut reconnue par Grégoire IX. L’ordre se multiplia tant qu’au XVIII° siècle il possédait près de quatre mille maisons. Sainte Claire fut canonisée deux ans après sa mort par Alexandre IV.

Les Dominicains

Saint Dominique (1170-1221) naquit en Castille, fit ses études à Palencia et devint chanoine d’Osma vers 1194. Il travailla aussitôt à réformer le chapitre à l’aide de la règle de saint Augustin et fut nommé prieur en 1201. Bientôt il accompagna son évêque à Rome, d’où Innocent III les envoya dès 1204 en mission en France, auprès des hérétiques Albigeois. Dominique eut avec eux, durant trois années, de multiples entretiens qui n’eurent aucun résultat tangible.

Il résolut alors de modifier ses méthodes missionnaires, en remédiant à l’insuffisance, au coeur des populations, de l’instruction religieuse de la Tradition. Il fonda tout d’abord à Prouille, dans les Pyrénées, un monastère destiné à lutter contre l’hérésie par l’éducation chrétienne des jeunes filles. Ensuite, pour mener à bien la même tâche dans la masse des fidèles, il conçut l’idée d’un ordre de prêcheurs, dont la première arme serait la pauvreté : ainsi opposait-il aux « parfaits » cathares les « parfaits » chrétiens. Les Frères Prêcheurs qui prendront plus tard le nom de Dominicains, (ordre fondé en 1215) par la qualité de leur enseignement, leur don de la parole et l’exemple de leurs vertus eurent immédiatement une grande influence sur le peuple, les lettrés et jusqu’au sein des Universités (voir ci-dessous). Dès 1221, l’année même ou meurt saint Dominique, le chapitre de l’ordre créa huit provinces.

Les deux Ordres mendiants rencontrèrent bien des difficultés : les Dominicains, d’abord, au sein des Universités d’où les docteurs séculiers tentaient de les évincer. Puis encore, comme les Franciscains, ils se trouvaient souvent en butte à l’hostilité du clergé, qui ne concevait pas que des religieux pussent se soustraire, sur le terrain, à l’autorité de la hiérarchie. Cette situation fut évoquée en maint concile provincial. Les papes Clément IV puis Martin IV rendirent obligatoire l’autorisation épiscopale.

Deux autres fraternités religieuses furent reconnues parmi les ordres mendiants : les ermites et les carmes.

Les Ermites de Saint-Augustin

Il existait en Europe une multitude d’ermites isolés dont la vie, pour être livrée à elle-même, n’était pas exempte de défauts. En Italie, on chercha d’abord à les réunir en congrégations locales. Mais certaines suivaient la règle de saint Benoît, d’autres celle de saint Augustin, d’autres enfin, aucune. Alexandre IV (successeur d’Innocent IV) décidera de les réunir toutes en un seul ordre, celui des Ermites de saint Augustin, qui prendra la règle du saint, se dotera de constitutions et choisira un supérieur général. Au XIV° siècle, l’ordre s’étendait sur quarante deux provinces et comptait deux mille couvents et trente mille religieux.

Les Carmes

Les Carmes, ermites du Mont Carmel, furent fondés, à la suite d’un voeu sur le champ de bataille, par le chevalier calabrais Berthold au XII° siècle. Vivant sous le patronage du prophète Élie et selon la règle augustine, ils eurent des couvents en Palestine, notamment à Saint-Jean-d’Acre, avant de venir s’établir en Occident au XIII° siècle, dans les grandes villes et les Universités : Cambridge, Oxford, Paris et Bologne. Leur activité était semblable à celle des dominicains.

Le Concile de Lyon (1274) confirma les quatre grands ordres mendiants : Dominicains, Franciscains, Ermites de Saint-Augustin et Carmes.

3 l’Enseignement

Le grand apport à l’enseignement médiéval fut le retour de la philosophie. Il se fit non sans quelques erreurs et tâtonnements que l’intelligence et la sagesse de saint Bernard surent corriger. La scolastique, science théologique, y trouva son plein épanouissement au sein des Universités grâce aux Dominicains qui réintroduisirent la pensée d’Aristote, et dont le plus beau fleuron fut saint Thomas d’Aquin.

La Scolastique

Jusqu’au XII° siècle, la théologie s’était appuyée sur les uniques démonstrations des Pères de l’Église, dont nul ne s’était écarté sans tomber dans l’hérésie. Ce fut le mérite de saint Anselme (1033-1109), archevêque de Cantorbéry, l’un des évêques les plus savants de son siècle, de rendre confiance aux théologiens dans la puissance du raisonnement philosophique. Sa propre thèse, développée dans le Proslogion (nécessité de croire pour comprendre) et le Monologion (« sa » preuve ontologique de Dieu par la perfection), sortira la théologie de sa stagnation en ouvrant les grandes discussions philosophiques.

Des tendances et des visages marquèrent le moment et sa querelle des Universaux  : Roscelin; Guillaume de Champeaux maître à l’école du cloître Notre-Dame, future Université de Paris; puis Abélard (1079-1142), leur élève, qui en vint a affirmer des concepts dont les dangers furent soulignés par saint Bernard (1091-1153), avant de rejoindre dans son cloître Pierre le Vénérable, abbé de Cluny. Saint Bernard eut encore à contredire Gilbert de la Porée évêque de Poitiers dans cette querelle des Universaux.

Durant ce temps Pierre Lombard (1100-61), évêque de Paris, qui avait ouvert une école de théologie, composa en latin son Livre des Sentences, ouvrage capital qui pendant trois siècles fut le support de tout cours de théologie. Enseignement complet de la Foi qui eut un prodigieux succès, il fut composé de textes des Pères : saint Augustin, saint Ambroise et saint Hilaire.

Le XIII° siècle fut marqué par un fort développement de l’enseignement de la philosophie et de la théologie. Ceci pour trois raisons : la création d’Universités; l’apparition de nouveaux maîtres : les moines mendiants; enfin l’enseignement par ces moines de la philosophie d’Aristote.

Les Universités

Il existait alors principalement des écoles monastiques et des écoles épiscopales. Parmi ces dernières, deux étaient particulièrement célèbres : celle de Bologne pour ses études canoniques, et celle de Paris pour la théologie et les arts libéraux (arts « de la pensée » tels que grammaire, rhétorique, dialectique, philosophie, etc.) Celle-ci, l’école Notre-Dame était située dans l’île de la Cité, à l’ombre de la cathédrale. Grâce à la charte de Philippe-Auguste (1200), accordée à la suite d’un conflit entre les étudiants et le prévôt de Paris, elle bénéficia de privilèges qui en firent un « État scolaire » sous le nom d’Université de Paris , qui fut placé sous l’autorité de l’évêque. À cette époque on nommait « université » toute corporation dont les membres (ici maîtres et élèves) avaient des privilèges communs. L’Université de Paris reçut ses statuts en 1215.

Le pape Honorius III résolut de la transformer en établissement de l’Église universelle. Comme jadis l’abbaye de Cluny, l’Université se rattacha au pape, devenant une institution de la Chrétienté. Aussitôt ses professeurs enseignèrent également sur la rive gauche de Seine, sur le territoire de l’abbé de Sainte-Geneviève, donnant naissance au Quartier Latin. Paris devint l’école officielle de théologie et centra son enseignement sur les sciences ecclésiastiques.

D’autres Universités s’établirent bientôt à Toulouse, à Montpellier, mais aussi à Rome, Naples, Padoue, Vienne, et dans des villes de moindre importance.

À l’Université de Paris furent aussi rattachés des collèges fondés par de généreux bienfaiteurs pour subvenir à l’entretien d’étudiants pauvres. Le plus illustre d’entre eux fut celui institué en 1257 par Robert Sorbon, confesseur de saint Louis, et bientôt nommé la Sorbonne.

Les nouveaux maîtres

En 1229, au moment où était fondée l’université de Toulouse, un conflit éclata à Paris entre les maîtres séculiers et l’autorité ecclésiastique. Les maîtres se mirent grève puis une partie d’entre eux, les insatisfaits, émigrèrent vers d’autres écoles (Angers et Oxford). En leur absence, l’Église fit appel au dominicain Roland de Crémone, qui enseignait au couvent de la rue Saint-Jacques. Ainsi les Dominicains furent-ils les nouveaux maîtres de l’Université, dont, deux ans plus tard, une bulle de Grégoire IX renforça les privilèges. Ils lui fournirent ses plus illustres professeurs, comme nous le voyons ci dessous.

La philosophie d’Aristote

Le maître incontesté de la philosophie fut à l’époque le dominicain saint Thomas d’Aquin (1225-1274). Ce « meilleur des philosophes » chercha à éclairer les esprits. S’appuyant sur la pensée des chercheurs qui l’avaient précédé, il avait constaté la justesse des vues d’Aristote, ce Grec ignorant de la Révélation, mais dont l’humilité et la curiosité le portait à découvrir ce que l’homme peut saisir de la vérité. Attitude que l’on nomme réalisme philosophique.

Aristote était élève de Platon. Que dit Platon, quatre siècles avant notre ère ? Sa doctrine est bien spiritualiste, qui dégage les qualités nécessaires à l’homme : les « idées », plaçant à leur sommet le Bien. Et affirmant que le Bien est une idée consciente et intelligente. Le Bien est cette pensée, cet Esprit que déjà, sans que Platon le sache, les Juifs nommaient je suis. Et Platon pressent que tout tend à une « remontée » vers cette « idée », cet esprit du Bien. Ainsi aboutit-il à une « morale » du Bien. Hélas, ce système ne dépassa pas les limites de l’homme; il ne resta qu’un idéal vers quoi celui-ci devait tendre, sans avoir su s’échapper vers le haut. Il fallut attendre saint Augustin pour lui trouver un véritable successeur spirituel qui transcenda sa doctrine.

Son élève Aristote, positiviste, rationaliste, poursuivant la recherche du maître, sans réfuter l’idée éternelle et immuable redescendit de l’abstraction vers le concret, vers la matière, où il entendait trouver une réponse. Ainsi abandonna-t-il l’idéalisme pour le sensualisme. Mais, et là reconnaît-on la corde de vérité qui vibrait en lui, il prit conscience de l’effort permanent de cette matière pour s’élever vers l’intelligence, siège de l’Esprit.

Cinq siècles passeront avant que Plotin, l’ami de Socrate, ne tente dans les Enneades une synthèse de tous les systèmes, du stoïcisme à la doctrine chrétienne. Qu’y découvrit-il ? Tout simplement l’âme, participant de l’Être pur, universel. Voici Plotin à la porte. Entrera-t-il ? Non hélas. Il s’est élevé bien haut lui aussi, mais pas suffisamment pour libérer son raisonnement de son attachement à l’homme seul.

Saint Augustin avait transcendé Platon. Tout en vénérant les fondements de la doctrine augustinienne, saint Thomas d’Aquin va y substituer l’explication métaphysique amorcée par Aristote. D’où l’on vit, au XIII° siècle, deux écoles d’écrivains ecclésiastiques : les Augustiniens et les Thomistes.

Les plus illustres Augustiniens furent Alexandre de Halès (1245), archidiacre d’une église d’Angleterre, et saint Bonaventure(1221-74), surnommé le Docteur Séraphique, disciple de saint François d’Assise. Devenu Franciscain, Alexandre rédigea sur la demande du pape Innocent IV une Somme des théories franciscaines. Saint Bonaventure, promu maître en théologie la même année que saint Thomas (1257), puis général de l’ordre franciscain, demeura, comme saint François, platonicien et augustinien.

Les Thomistes

En 1231, le pape Grégoire IX décréta l’adaptation de la doctrine d’Aristote au dogme chrétien. Cette décision permit l’oeuvre d’Albert le Grand et de saint Thomas d’Aquin.

Albert le Grand (1193-1280), de la famille des comtes de Bollstædt, étudia les sciences à Padoue, rejoignit l’ordre des dominicains en 1222, enseigna théologie et philosophie dans l’Est puis à Paris. Le nombre de ses auditeurs fut tel qu’il dut enseigner en plein air, sur la place Maubert (de : Maître Albert). Thomas d’Aquin fut l’un d’entre eux. Albert possédait une grande culture sur les travaux des Arabes et des rabbins, ainsi qu’une connaissance approfondie d’Aristote. Avec lui commencèrent ces théories subtiles sur matière et forme, essence et être, qui passionnèrent le moyen-âge. Mais il se tint prudemment dans la tradition d’Augustin.

Saint Thomas d’Aquin (1226-74), surnommé le Docteur Angélique, est resté jusqu’à ce jour le plus grand théologien de l’Église. Cousin de l’empereur Frédéric II, il fut élevé dès cinq ans chez les moines du Mont-Cassin, puis entra chez les dominicains malgré les résistances de sa famille. Thomas enseigna sept ans la théologie à Paris (1252-59), fut appelé à Rome par le pape Urbain IV afin de superviser une traduction d’Aristote depuis le texte grec, avant de revenir à ses auditeurs parisiens (1269-72).

Les écrits de saint Thomas sont appréciés comme des sources abondantes et sûres; le langage précis, le sens pratique, la connaissance de l’âme, la science et l’expérience personnelle s’y contrôlent toujours. Son oeuvre capitale, où il a lui même à la fin de sa vie (48 ans!) donné la synthèse de sa doctrine, est la Somme théologique, le plus achevé des traités dogmatiques. Le pape Léon XIII (1878-1903) le proposera comme le maître par excellence à toutes les écoles de théologie et de philosophie.

Il repoussa toutes les dignités pour vivre dans une retraite studieuse et honorée. Saint Louis l’invitait à sa table. Il mourut en se rendant au second concile de Lyon. Après enquête sur les miracles de saint Thomas, il fut canonisé par Jean XXII en 1323.

4 La Mystique

Pendant que les scolastiques appliquaient le raisonnement à l’étude du dogme, d’autres théologiens cherchaient à s’élever vers Dieu par la contemplation, et ce dans un triple but : purifier le coeur, illuminer l’esprit et unir l’âme à Dieu. Ce sont les mystiques.

Les écrivains mystiques des XII° et XIII° siècles, selon leur sensibilité peuvent être rattachés à l’une des trois familles suivantes : les bénédictins, les Victorins ou les Franciscains.

Deux noms symbolisent l’esprit des Bénédictins. D’abord saint Anselme (1033-1109), déjà cité pour ses écrits scolastiques, et dont il faut noter les Méditations et les Prières, traité à la fois spéculatif et affectif.

Ensuite saint Bernard (1091-1153) qui, sans cesser sa prédication s’efforça par ses écrits d’amener à la pratique d’une vie plus parfaite. Sa doctrine, en rien théorique, vise la perfection de l’amour, par une dévotion permanente aux mystères de la vie mortelle du Christ et de ses premiers témoins : Marie et Joseph. Ses principaux ouvrages mystiques sont : De l’amour de Dieu, et De la considération adressé à son disciple le pape Eugène III.

Saint Bernard fut un contemplatif, admettant trois degrés pour s’élever jusqu’à Dieu : la prière, la contemplation et l’extase. Il eut une affection fervente pour la Vierge Marie. Écrivain, il a laissé un nombre considérable de traités, sermons et poésies. Par ses facultés prodigieuses, son intelligence, son énergie, son activité, saint Bernard fut l’une des plus grandes figures de son siècle. Il fut canonisé par Alexandre III vingt ans seulement après sa mort (1173). Mabillon a écrit de lui : « Il est le dernier des Pères et l’égal des plus grands« .

Il faut rattacher à son école sainte Gertrude (1256-1302) qui, sur l’ordre du Seigneur lui-même écrivit le récit de ses Révélations dans un remarquable ouvrage de tendre dévotion à l’humanité du Christ : Héraut de l’amour divin.

Les Victorins écrivirent dans la ligne de leur chef de file Richard de Saint-Victor (1110-v.1173). Prieur de l’abbaye de Saint-Victor de Paris, il eut l’estime de saint Bernard. À partir d’une conception symboliste de l’univers il se haussa dans chacun de ses traités, du visible, miroir de Dieu, vers l’invisible, en s’élevant par une méditation intuitive jusqu’à la contemplation, puis l’union à Dieu.

Les auteurs Franciscains témoignèrent d’une piété affective, qui préféra à la contemplation mystique du prieur Richard les élans du coeur, l’acte d’amour béatifique. Avançant plus loin encore que saint Bernard, ils s’attachèrent à l’humanité du Christ souffrant. Ils devaient à saint François d’Assise cette « joie douloureuse », ce « plaisir du coeur dans la sainte Croix » dont ils parlent. Citons Saint Bonaventure, auteur de l’Itinéraire de l’âme vers Dieu, et Thomas de Celano.

Il convient encore de nommer Joachim de Flore, dont les écrits dépassèrent les mesures de la sagesse et furent condamnés, et un recueil de vies de saints, dû à la plume du dominicain Jacques de Voragine, et qui obtint un large succès sous le titre de Légende dorée.

5 L’art Médiéval

Expression par les oeuvres de l’homme d’un idéal esthétique, l’art tend à une fin. Aux Arts libéraux que sont ceux de la pensée et dont la finalité est l’enrichissement de l’esprit et de l’âme par leur rapprochement de la vérité, l’architecture, dans l’Église, se veut à la fois prière vers Dieu et diffusion de sa Parole.

L’art des premiers temps de l’Église avait dérivé de l’art romain. Le sol de l’Empire était bâti de monuments, que l’on utilisa avant d’en élever d’autres. Les premières églises furent construites sur le modèle de la « basilique » romaine, laquelle n’était pas rappelons-le un lieu de culte mais de rassemblement et de commerce, proche de nos halles couvertes. Le bois y tenait une grande place. La fréquence des incendies détermina le creusement de cryptes où l’on abritait les restes des saints. Ainsi le style latin, qui ignorait la voûte, surmontait les murs d’une charpente de bois supportant un plafond. La voûte n’apparut qu’au X° siècle, au sud de la Loire. Les principes de la construction romaine persistèrent, mais la colonne devint le support de l’arc. Là est le fondement d’un style nouveau, employant exclusivement l’arc et la voûte : le style roman.

L’art Roman

L’emploi de la voûte changea complètement la physionomie de l’église. La forme de la croix latine ayant été adoptée, la voûte couvrait la nef et le transept (voir le plan d’une église primitive romane) Le plein-cintre (demi cercle) de la voûte imposait une nef étroite et, lourd, des murs épais. Afin de ne pas les affaiblir on évitait les fenêtres. Pour mieux encore soutenir le poids de la voûte, on plaça à intervalles réguliers des arcs posés au sommet de colonnes. Au droit de ces colonnes intérieures, on plaçait à l’extérieur de l’église des contreforts de pierre. Puis, on osa concevoir des bas-côtés parallèles à la nef, dont l’ossature était constituée d’arcs-boutants qui renforçaient l’équilibre de la voûte.

Il se dégage de l’ensemble une idée de foi solide et de recueillement. Il fut complété, en premier lieu dans les monastères, d’une décoration très recherchée. L’influence byzantine vint compléter la romaine dès les croisades, et les miniatures figurant sur les manuscrits orientaux inspireront les moines dans leurs fresques peintes, sculptures ou mosaïques.

Les plus beaux spécimens d’églises romanes en France sont Saint-Cernin à Toulouse, Saint-Germain-des-Prés à Paris et Saint-Paul à Issoire.

L’art Gothique

Au XII° siècle, L’architecture ogivale modifia complètement la conception des ouvrages, lorsque l’on découvrit que quatre arcs romans brisés, accolés en une croisée d’ogives à la façon de quatre baleines de parapluie, permettaient de localiser les poussées et d’alléger de ce fait considérablement les maçonneries. Plus de solidité, plus de légèreté, plus de hardiesse. Les piliers s’affinent, la voûte s’élève (34m à Notre-Dame de Paris, 43 à Beauvais, 47 à Amiens, soit quinze de nos étages!), de grandes baies s’ouvrent, portant vitraux, des galeries s’accrochent aux parois, sur trois niveaux parfois.

Le plan continue à offrir l’image d’une croix latine. Les deux bras, courts, se terminent par un portail donnant sur un parvis d’où l’on peut donner au peuple le spectacle des Mystères.

Cet art ogival, nommé Gothique par les Italiens de la Renaissance, en terme de mépris pour une architecture considérée barbare, a subjugué princes et évêques. Aux XII° et XIII° siècles, voulues par eux, bâties non plus par des moines mais des maîtres d’oeuvre laïques, jaillirent nos cathédrales : abbatiale de Saint-Denis (1132), cathédrales de Sens (1135), Noyon (1145), Senlis (1153), Notre-Dame de Paris (1163), Reims et Amiens (ap.1210), vitraux de Chartres ( 1210 à 1236). Au fil du temps la forme des fenêtres se modifiera, passant de la lancette (fer de lance) à la rosace rayonnée, puis au style flamboyant (flamme).

La décoration se voulut enseignement. Les artistes du Moyen Âge non seulement racontèrent l’histoire du christianisme, mais indiquèrent au chrétien son devoir. Victor Hugo l’a dit : « le genre humain n’a rien pensé d’important qu’il ne l’ait écrit sur la pierre« . À ce titre, par leurs sculptures, les cathédrales furent et sont encore des livres.

conclusion

Ainsi l’Esprit est-il à l’oeuvre dans l’Église : non seulement il souffle un vent nouveau sur les Ordres, poussant certains vers les rivages de la prière, d’autres vers l’étude ou l’enseignement, tous vers l’obéissance, le jeûne et la pauvreté; mais il soulève les meilleures âmes jusqu’aux cîmes de la mystique, face à Dieu, dans un élan de purification, d’illumination, d’union de l’âme à son Père.

Bien plus; non content de laisser sa signature au bas des pages de ces écrivains mystiques, l’Esprit se voulut encore présent dans les arts. Si le « Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous », il s’est aussi incrusté jusque dans la pierre, afin qu’elle nous transmette cette nouvelle forme de l’Évangile à travers les siècles : la Parole gravée dans le roc même. N’est-ce pas ce que le Chrit avait voulu en choisissant Simon-Pierre ?

Publié dans : L'ordre des Templiers |le 29 mai, 2010 |Pas de Commentaires »

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