
Queste du Graal au service d’une science sociale Templière
I – Les Universaux
Aristote nous a fait remarquer que l’être humain est le seul animal à avoir le sentiment du Bien, du Vrai et du Juste, et que c’est précisément ce sentiment qui est à l’origine de la vie familiale, comme de la vie en communauté et en société. Or, comme nous le savons, ces sentiments sont à la base des concepts que nous qualifions d’universels et qui sont communs à tous les êtres humains. Le savoir de ces concepts est ce domaine de la connaissance qui est en rapport avec la théorie éthique, car ce sont précisément ces notions qui conditionnent le comportement humain. Nous savons, à ce propos, que c’est au nom de principes que nous agissons et en vue de les accomplir.
Pendant longtemps on s’est posé la question de savoir quelle était l’origine de ces concepts. Plus précisément de savoir si elle est « à priori » ou « à posteriori ». Cette interrogation trouva dans la théorie de la réminiscence platonicienne une réponse d’ordre mythologique. Ce n’est que par la suite, avec Aristote et plus tard avec Kant et Schopenhauer, que nous allons arriver à une réponse satisfaisante. Il ne s’agit pas ici de signaler l’apport propre, en ce qui concerne cette problématique, de chacun de ces penseurs. Leurs contributions sont plutôt des moments d’un processus dont le résultat nous semble être le suivant. Il convient, en effet, de faire la différence entre les concepts d’ordre général et les concepts que nous appelons universels. Car à la base de cette problématique, comme on le sait, il y a le fait que nous trouvons dans le monde phénoménal aussi bien des singularités que des particularités, mais nous n’y trouvons pas les notions universelles.
En effet lorsqu’il est question, par exemple, du chien, nous savons que nous trouvons des singularités (ce chien-ci) et des particularités (les races et les bâtards), mais nous ne trouvons pas l’idée du chien, ”l’en-soi” du chien comme aurait dit Platon. Or c’est, précisément, cette notion de quelque chose qui existe empiriquement, dans sa dimension singulière et particulière, que nous appelons les concepts généraux.
Pour ce qui est des valeurs d’ordre universel, les universaux, nous constatons que leur existence empirique n’est pas du même ordre que celle des choses dont on vient de parler. Nous disons, en effet, que quelqu’un est bon mais cette qualification n’a pas le même degré de réalité que le chien ou le cheval. La bonté dont il est question est une valorisation. Elle ne fait pas partie de la substance de l’être ainsi qualifié, ce qui est le cas du chien. Nous disons, pour cette raison, que tout chien est un chien et qu’un chien n’est pas plus chien qu’un autre chien. Par contre, nous ne pouvons pas dire qu’une personne est bonne ou juste en elle-même. Nous disons plutôt qu’une personne est bonne et juste si elle participe à tel ou tel système de valeurs ou si son comportement coïncide avec l’idée du Bien ou du Juste. C’est la même chose lorsque nous parlons du Vrai et du Beau. Par conséquent, nous constatons que les concepts généraux ont un fondement empirique effectif, ce qui n’est pas le cas des concepts d’ordre universel. Pour cette raison, nous pouvons dire que les concepts généraux sont des notions « à posteriori ». Ce qui veut dire, plus précisément, que nous ne pouvons pas arriver à l’idée du cheval si nous ne connaissons pas l’animal en question, et ce, dans ses différentes manifestations. Car, pour revenir à l’exemple du chien, supposons qu’un groupe humain ne connaisse que l’existence d’une race de cet animal, le chien nu de chine en l’occurrence, il est clair que pour ces gens l’en-soi du chien ne doit pas avoir de poil et ne doit pas aboyer. Comme on peut le comprendre aisément, ces personnes auront pris l’idée du chien nu de chine comme l’en-soi du chien en tant que tel. Cet exemple nous montre la difficulté problématique d’une telle conceptualisation. On comprend facilement que l’erreur réside ici dans le fait que l’en-soi d’un particulier est conçu comme l’en-soi du genre. Ceci est d’autant plus vrai que dans sa réalité comme dans son concept le particulier ne peut pas être l’universel.
En ce qui concerne les universaux nous constatons que ce ne sont pas les déterminations singulières et particulières qui conditionnent l’universel et sont, donc, la cause de son existence. Nous constatons que ce sont plutôt ces valeurs qui se manifestent au niveau des singularités et des particularités pour leur faire participer de leur universalité. Pour cette raison nous disons que si Jean est bon c’est parce qu’il participe à la dimension de la bonté. Par conséquent, les valeurs universelles conditionnent, selon leur logique, la dimension axiologique des singularités et des particularités. Il se pose, dès lors, la question de savoir quelle est l’origine de ces valeurs. En effet, comme nous l’avons déjà souligné, les universaux ne peuvent pas être « à posteriori », car leurs déterminations sont plutôt des manifestations de ces valeurs. Par conséquent il serait absurde de dire que les déterminés produisent le déterminant.
Nous considérons, dès lors, que puisque les universaux ne sont pas « à posteriori » ils ne peuvent être que des concepts « à priori ». C’est pour cette raison que nous disons que ces valeurs sont communes à tous les humains. Mais ceci ne veut pas dire que ces concepts soient innés. Nous avons plutôt affaire à des catégories qui sont le produit de la capacité synthétique de la raison. De là que l’être humain, en tant qu’être rationnel, est capable d’orienter sa propre existence à partir de cette dimension signifiante qui est celle de valeurs d’ordre universel. En tout état de cause, c’est cette communauté de sentiments, dont parle Aristote, qui est censée être le moteur de son activité“nomothétique”. On ne peut comprendre l’importance de cette dimension, si on ne tient pas compte du fait que l’être humain est un animal qui n’a pas été programmé par la Nature. Si bien que son comportement doit être réglé. Ceci d’autant plus que cet être est le seul capable de se détruire inter-espèce, voire de s’affirmer dans cette déstructuration.
II – L’en-soi éthique de l’humain
Erreur ! Source du renvoi introuvable. Dire que les règles conditionnent les comportements, est une évidence aussi grande que dire que l’action a besoin de règles pour se manifester d’une manière cohérente. La codification est ainsi la base des comportements et de l’action en général Nous appelons raison pratique la raison qui pose des normes. Par contre, la raison théorique est celle qui s’interroge sur la logique même de cette production normative. Dans ce sens nous disons qu’une production normative est axiologique, lorsqu’elle correspond à la logique des valeurs d’ordre universel. Donc à l’idée du Bien, du Vrai et du Juste! Les universaux sont ainsi le point de départ de la réflexion axiologique. Par conséquent, au point de départ de cette réflexion axiologique il y a l’idée simple de ces valeurs. Car les valeurs d’ordre universel sont perçues, tout d’abord, en tant que forme simple : comme noyau des universaux. Or ce noyau, est ce que nous appelons dans nos espaces sacrés la pierre cubique éthique (parfaite) ou l’Absolu à la Loge Blanche plus particulièrement concernée par ces problématiques. La Pierre symbolique se présente ainsi comme le point de départ de toute réflexion axiologique. Mais cet Absolu est une entité abstraite, une dimension purement théorique, dont la forme première est le noyau des universaux. Il convient de retenir, en ce qui concerne cette problématique, que pour la conscience l’idée du “Summum Bonum” n’est pas une donnée immédiate à la perception. Il s’agit plutôt d’une dimension se situant par delà l’immédiateté, donc d’une dimension transcendantale. Nous devons entendre par transcendantale ici non pas ce qui est en dehors de l’Être, mais plutôt ce qui s’oppose à l’immédiateté de la conscience. En tout état de cause, cette universalité est l’essence du soi. Elle est le fondement de la raison et de la conscience. La Pierre Éthique se présente ainsi comme cette dimension symbolique qui est, en elle-même, le contenu des valeurs d’ordre universel. L’œuvre du Chantier est, dès lors, l’universalité éthique de l’humain. Il est, plus précisément, ce que la conscience générale appelle Dieu : le Summum Bonum.
Pour cette raison Voltaire disait que l’éthique vient de Dieu, comme la lumière du soleil.3 La croyance dans un Absolu n’est pas, dès lors, un acte de foi, mais une exigence de la raison. Il est important, toutefois, de retenir qu’en tant que figure simple l’absolu est une catégorie universelle. Il peut se présenter, soit comme l’en-soi de l’humain, soit comme la synthèse des valeurs d’ordre universel. L’en-soi de l’humain est, quant à lui, sa forme universelle, sa figure générique. Cette figure peut, évidemment, être perçue comme ego-transcendantale. Il est clair que ce n’est pas cette dimension qu’on peut considérer comme l’en-soi éthique de l’humain. On peut, à la rigueur, concevoir que l’en-soi éthique ait la forme d’un ego- transcendantal, mais cette forme ne peut pas être confondue avec l’en-soi d’une communauté donnée. Car la catégorie de l’en-soi peut être la manifestation d’une communauté particulière. C’est ainsi que, pour prendre un exemple, l’en-soi des chinois a nécessairement les yeux bridés, mais cela ne peut pas être le cas de l’en-soi de l’humain. Par conséquent, nous ne devons pas confondre l’en-soi de l’humain avec l’en-soi d’une communauté particulière. Cela dit, le problème essentiel n’est pas celui de savoir s’il convient ou non d’attribuer à l’En-soi éthique la forme d’un ego-transcendantal. Ce qui est important, à ce niveau-là, c’est de comprendre qu’une forme particulière – l’ego-transcendantal d’une communauté donnée – ne convient pas à un contenu universel. Cela étant souligné, il est important de retenir que l’essentiel ici n’est pas la forme. Ce qui est fondamental c’est le contenu. Or le contenu de l’En-soi éthique est, comme nous l’avons signalé, l’ensemble des universaux. Par conséquent c’est cette dimension éthique qui est, nécessairement, le moteur de toute action axiologique. On peut, par conséquent, définir le contenu de l’En-soi éthique de l’humain comme le noyau des valeurs universelles. C’est cette unité qui constitue, en elle-même, sa vérité. Car, du point de vue purement conceptuel l’En-soi éthique de l’humain est cette unité simple dont la vérité est son unité et son dévoilement. En effet, le processus à travers lequel cet en-soi se réalise est la manifestation de la justice. En d’autres termes, la raison d’être de l’En-soi éthique de l’humain est celle de son accomplissement. Et c’est, justement, au niveau de cette finalité que l’En-soi éthique de l’humain est le règne du Bien. Car le pour-soi de la justice se concrétise dans l’en-soi et le pour-soi du Bien. Ainsi, la manifestation de ce processus est le résultat du dévoilement de la substance éthique de l’humain.
III – Des valeurs particulières
L’objectivation des valeurs est, dès lors, un processus qui a comme point de départ une dimension première, censée être la manifestation même des valeurs d’ordre universel. Dans l’histoire de la culture humaine le mouvement de réalisation de sa destiné s’est manifesté comme un processus qui peut être composé de moments. La communauté familiale se réalise dans la communauté sociale, et celle-ci dans la communauté universelle. L’interdit de l’inceste va jouer comme on sait un rôle de première importance dans le passage de la communauté familiale à la communauté sociale. La survie de cette espèce, particulièrement fragile au sein de la nature, n’a pu se réaliser que grâce à la formation de communautés de plus en plus vastes. De plus, les luttes inter-communautaires ont conduit ces structures simples, à former des alliances de plus en plus importantes. Ces différentes contraintes sont à la base des formations sociales dans lesquelles apparaît la nécessité de réguler l’agressivité, et d’éviter les vendettas et la guerre de tous contre tous. Un des principes moraux qui va s’imposer, d’une manière générale, est celui de l’amour du prochain, entre les membres d’une même communauté. Ce qui exclut le lointain : celui qui est différent, parce qu’appartenant à d’autres manifestations de l’humain. Cette solidarité intercommunautaire est exprimée d’une manière très simple par Le Coran, lorsqu’il est dit : « Il n’appartient pas à un croyant de tuer un croyant. » « Les croyants doivent se considérer comme des frères ». Par contre, on peut et on doit tuer tous les incroyants. Pour cette raison il est dit : « Tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez. ». Il est dit aussi : «Ceux qui se détournent, tuez-les partout où vous les trouverez ». De même pour les transgresseurs : « Tuez-les partout où vous les rencontrerez. » Il doit être de même avec les amis du diable. En tout état de cause : « Lorsque vous rencontrerez les incrédules, frappez-les à la nuque ». Car dit-il : « Ce n’est pas vous qui les avez tués ; mais Dieu les a tués. »
Dans un autre domaine, comme la pratique du prêt avec intérêt, La Torah souligne précisément cette différence entre les membres de la communauté du peuple dit élu et les autres. Dans ce texte il est dit, en effet : « Tu pourras tirer un intérêt de l’étranger, mais tu n’en tireras point de ton frère ». Par conséquent : « Tu pourras presser l’étranger mais tu relâcheras ton frère ». Cela dit, la question se pose de savoir qui est le frère selon ce discours. En effet, le passage suivant est à ce niveau-là particulièrement clair : « ne faites pas la guerre à vos frères, les enfants d’Israël ». Il en est de même dans cet autre passage : « C’est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave vous les garderez comme esclaves à perpétuité. Mais à l’égard de vos frères, les enfants d’Israël, aucun de vous ne dominera avec dureté sur son frère ».
Par conséquent, cette différence n’est pas simplement celle de l’exclusion, dans le sens de dire que l’autre est un autre et doit rester dans sa différence. Il s’agit bien d’un discours qui implique la domination totalisante des autres. Ce processus de la domination absolue connaît plusieurs moments. Tout d’abord, le Dieu de ce peuple donne à sa communauté une terre qui appartient à d’autres peuples. C’est ce que l’on nomme : la donation. Laquelle est formulée comme suit dans le passage suivant. Tout d’abord l’Éternel dit à Abraham : « Je donne ce pays à ta postérité, depuis le fleuve de l’Égypte jusqu’au grand fleuve, au fleuve de l’Euphrate. ». Puis il lui dit : «Je te donnerai, et à tes descendants après toi, le pays que tu habites comme étranger, tout le pays de Canaan, en possession perpétuelle, et je serai leur Dieu ». À propos de ces passages, il convient de retenir que par la première donation, l’Éternel donne à son peuple la presque totalité du Moyen-Orient, le monde civilisé de l’époque. La deuxième donation est par contre, comme on le sait, celle de ladite Terre Promise. Pour ce qui est des populations vaincues, les ordres de l’Éternel sont précis : « Tu dévoreras tous les peuples que l’Éternel , ton Dieu, va te livrer tu ne jetteras pas sur eux un regard de pitié. » Bien évidemment, l’Éternel sait que son peuple ne pourra pas exterminer tous les gens de la contrée. Le besoin de serviteur en est une des causes essentielles, si ce n’est pas la plus importante. Pour cette raison il dit à son peuple : « Ne vous mêlez point avec ces nations qui sont restées parmi vous. » Il convient toutefois de préciser que ces ordres ne sont pas restés, dans cette histoire dite sacrée, sans incidence effective. Le massacre des peuples vaincus, n’ a pas été pure rhétorique. Ceci est d’autant plus vrai que la parole de l’Absolu ne peut avoir que cette dimension. Pour cette raison il est dit : « Vous observerez et vous mettrez en pratique toutes les choses que je vous ordonne ; vous n’y ajouterez rien, et vous n’en retrancherez rien ». Le fait est, comme l’ont souligné certains théologiens que Dieu peut tout sauf retrancher une seule de ses paroles, car l’Absolu n’exprime pas de jugements relatifs. Sa parole ne peut être qu’absolue ; elle ne peut prendre corps que pour l’éternité. C’est d’ailleurs la dimension propre de l’Ancien Testament. Le fait est que par delà la donation, il y a la promesse. Plus précisément la promesse de domination universelle. On peut constater cette dimension dite messianique dans les passages suivants : « Tout lieu que foulera la plante de vos pieds sera à vous. Nul ne tiendra contre vous. L’Éternel, votre Dieu, répandra comme il vous l’a dit, la frayeur et la crainte sur tout le pays où vous marcherez ». « Demande-moi et je te donnerai les nations comme héritage, les extrémités de la terre pour possession ; tu les briseras avec une verge de fer, tu les briseras comme le vase d’un potier ». Nous pouvons citer d’autres passages. Ce choix est considérable. Il convient toutefois de retenir que dans ce projet messianique, de domination universelle, il ne peut y avoir de compassion. Pour cette raison il est dit : « Car la nation et le royaume qui ne te serviront pas, périront. Ces nations-là seront exterminées. La logique qui conditionne ce discours est la suivante : l’Absolu se donne un peuple avec le but de gouverner le monde à travers son peuple :
« Mon alliance lui sera fidèle ; je rendrai sa postérité éternelle, et son trône comme les jours des cieux ».
IV – La négation des universaux
On ne peut pas comprendre la logique de ce discours de la domination,si on ne tient pas compte du fait qu’il repose sur la croyance27. Plus précisément, sur la croyance des présupposés suivants.
Premièrement, sur le simple fait que le dieu d’un peuple est le Dieu de tous.
Deuxièmement, sur l’idée selon laquelle la volonté de ce Dieu ne peut être que la manifestation du Bien en tant que telle. De là que la conscience croyante ne peut que répéter à l’infini : “Que ta volonté soit faite dans les cieux et sur la terre.”
Ceci indépendamment du fait que, selon cette doctrine, tout doit conduire à la réalisation de ce projet : Le Peuple Élu comme Seigneur du monde. Or, comme on le sait, les choses ne se sont pas passées ainsi. Le détournement du cours de ce projet, fut précisément la conséquence de l’universalisation de la suprématie de ce Dieu. Car il est important de prendre conscience du fait que cette parole ne pouvait pas se réaliser, si les nations n’acceptaient pas ce Dieu comme étant le Dieu en tant que tel. De plus, l’accomplissement de ce projet ne pouvait pas se réaliser s’il n’y avait pas une sorte de compensation pour ceux qui avaient à subir le poids écrasant d’une telle domination, où les seigneurs sont tout, et le reste de l’humanité moins que rien. C’est ainsi que va apparaître la différence essentielle entre le judaïsme et le christianisme. Car cette différence ne se situe pas uniquement au niveau de l’instance de légitimation : le centralisateur des valeurs. Donc au niveau du fait que pour le judaïsme l’Un est un 1 simple, tandis que dans le christianisme nous avons affaire à une unité qui est en elle-même une trinité. La différence essentielle entre ces deux religions se situe, nous semble-t-il, au niveau eschatologique. Par conséquent, des fins dernières. En effet, pour le judaïsme les morts d’Israël doivent se réincarner, revenir à la vie sur cette terre. De telle sorte que ces personnes ne connaîtront pas une deuxième mort, mais vivront éternellement sur cette terre dans la présence de l’Éternel. Par contre les christiens iront dans l’au-delà, après le jugement dernier. Le ciel apparaît ainsi comme la récompense des souffrances dans l’en-deçà. Pour cette raison il est dit : « Venez à moi, vous tous qui piétinez sous le fardeau : je vous soulagerai ». Ou encore : « C’est en effet chose agréable à Dieu que d’endurer des afflictions et des peines injustes pour motif de conscience envers Dieu ». À ce propos, il est important de rappeler que l’au-delà fut à ses origines une obsession égyptienne, comme l’avait déjà souligné Hérodot . Il n’est pas risqué de soutenir que cette dimension fut introduite en Palestine par les Cananéens. Donc par cette population palestinienne qui occupa l’Égypte de moins 1750 à moins 155534. Quoiqu’il en soit, la donation du royaume des cieux et non pas du royaume du monde va donner naissance à une nouvelle alliance. Normalement, ce nouveau pacte ne devait pas invalider l’ancien ; il ne devait pas non plus provoquer le remplacement du peuple juif dans son rôle du Peuple Élu. Pour cette raison Paul nous dit : C’est aux israélites «qu’appartient l’adoption, la gloire, les alliances, la foi, le culte, les promesses et les patriarches »
Pour cette raison Paul ajoute : « En effet, ce n’est pas en vertu de la religion que la promesse d’avoir le monde en héritage, a été faite à Abraham ou à sa postérité ; c’est en vertu de la justice de la foi. ». De là que lorsqu’on lui posa la question : “leur incrédulité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu ?” Il répondit : “loin de là !”. C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle Paul dit aux hébreux : « Car assurément ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais c’est à la postérité d’Abraham. ». Le fait est que la nouvelle alliance va donner naissance à une lutte pour la fidélité et à l’affirmation de la volonté messianique. Certains peuples vont ainsi revendiquer, au nom de la promesse, le droit à la domination, c’est-à-dire le droit divin de conquête et d’extermination des incroyants. Dans la pratique, par conséquent, si l’esprit du peuple de l’Éternel a été intégré par d’autres nations comme étant l’Esprit Absolu, ce n’est pas parce que ces nations ont accepté sa volonté de domination, mais plutôt pour s’approprier la logique de cette volonté. Le conquistador Lopez d’Aguerrie a exprimé cette problématique d’une manière on ne peut plus transparente lorsqu’il dit : « Dieu a fait le ciel pour ceux qui le méritent et la terre pour ceux qui sont forts ». Or si un homme aussi inculte que ce personnage qui s’est dénommé lui-même : « Fort Chef de la Nation du Marañon » a pu percevoir l’enjeu principal de ce système de valeurs, il est évident que d’autres personnalités,mille fois plus compétentes, ont pu le percevoir clairement. Mais si ce ne fut pas le cas, c’est parce que cette conscience réfléchie s’est concentrée sur l’idée selon laquelle le dieu un d’un peuple est le Dieu en tant que tel. Ainsi l’esprit d’un peuple ( “Volksgeist” ) est devenu esprit du monde (« Weltgeist »). De là que la morale n’a pas été considérée comme ce qui est en-soi et pour-soi juste et bon, mais comme ce qui est la manifestation de la volonté du dieu du Peuple Élu. De là que la donation et la promesse, la volonté conquérante et messianique, sont considérées comme la manifestation de ce qui est en lui-même le Bien Suprême. Dans ce système de valeurs le rôle de chaque peuple, dans la pratique, est de reproduire le modèle du Peuple Élu. Donc, de devenir ce que Pierre Chaunu a appelé un « Israël bis ». Un modèle particulier tend, par conséquent, à s’imposer comme modèle universel. Mais cette prétention à l’universalité implique non seulement la négation des universaux, mais aussi la négation des valeurs des autres particularités. La négation de l’altérité implique, par conséquent, non seulement la négation de son être, mais aussi la négation des manifestations de son esprit : de ses productions culturelles.
V et VI- La prétention à l’Absoluité
L’Absolu ne peut donc pas être le EDieu d’un peuple, ou la manifestation de son esprit. À ce propos là, il convient de rappeler que L’Ancien Testament répète constamment que l’Éternel est « le Dieu des Hébreux ». De plus il est dit clairement que c’est la part de Jacob qui a fait le monde et qu’Israël est la tribu de son héritage. Or, la partie de ce peuple, dont il est question, n’est autre que son esprit. Car par définition l’esprit d’un peuple est son produit, donc, une partie de son être. Ceci indépendamment du fait que cette partie soit considérée comme le fondement de sa substance, elle ne cesse pas pour autant d’être une partie de son être. Bien évidemment, cette relation de la partie au tout, du produit à son producteur, n’exclut pas la prétention à l’absoluité. Plus précisément, le fait qu’un esprit particulier puisse se considérer comme l’esprit absolu en tant que tel.
En l’occurrence il est dit que la part de Jacob, du Peuple Élu, a fait le monde. Par conséquent que la partie d’une simple partie est la cause même de la totalité de l’univers et, donc, de l’être comme tel. Ce jugement est contraire à la logique même de l’être, pour laquelle la partie est une simple part d’un tout et ne peut pas être supérieure à ce tout, et encore moins à la totalité qui est l’être comme tel. Nous constatons aussi cette prétention à l’absoluité, de la façon la plus radicale qui soit, dans ce célèbre passage de la Genèse où il est raconté que Jacob se bat avec Dieu, et que dans cette lutte il a failli l’emporter. Il est clair que dans cette anecdote ce qui importe ce n’est pas simplement le fait que l’Absolu est considéré comme une simple détermination, mais aussi le fait que le producteur – Jacob, l’essence de la communauté en question – peut être supérieur à son produit : son esprit. Par conséquent le seul sujet capable de modifier la substance de son esprit est la communauté productrice. En tout état de cause, du point de vue philosophique, l’Absolu ne peut pas être une détermination. C’est précisément pour cette raison que l’idée selon laquelle l’Absolu puisse être une personne, une singularité humaine, est une idée totalement contraire au concept même de cet absolu. C’est précisément ce que nous constatons dans le cas de la mystique christienne. En effet, Pierre Chaunu nous rappelle à ce propos que la mystique ”christocentrique” ne vise pas au-delà du Christ ». Nous constatons aussi cette dimension ”christolatrique” dans le cas des Mormons. En effet, selon la Bible de ce mouvement, le Christ est « le Seigneur Dieu Omnipotent » Il y est dit aussi : « Le Christ, le Seigneur qui est le Père Éternel même ». Rappelons que c’est justement à cause de cette dimension du culte de certaines personnes et des images que le judaïsme et l’islam ont soutenu que le christianisme est polythéiste. En tout état de cause l’adoration de l’homme-dieu a toujours été considérée par ces religions comme une impiété qui n’a rien à voir avec l’idée monothéiste. Pour cette raison Le Coran souligne que « ceux qui disent : « Dieu est en vérité le Messie, fils de Marie », sont impies » et pourtant Notre Dame est Mère de tous les Hommes…
En effet, pour cette forme de conscience dite monothéiste, Dieu ne peut pas être une immanence, il ne peut être qu’une transcendance. C’est d’ailleurs pour cette raison que le concile fondateur du christianisme, le Concile de Nicée a introduit l’idée de la Trinité. Il s’agissait alors, pour les opposants d’Arius de contrebalancer l’immanence du Christ avec la Transcendance de l’Éternel et du Saint Esprit. Mais indépendamment de cette mise en relation, la conscience christienne continua d’un point de vue purement dogmatique à soutenir que le Christ est le vrai homme et le vrai Dieu. Il n’est, dès lors, pas difficile de comprendre la raison pour laquelle la dogmatique christienne va s’éloigner à un moment donné de la philosophie. Ce qui s’est produit après avoir essayé d’intégrer cette forme de réflexion de l’universalité comme telle. Donc, du logos se manifestant dans le monde. Car, comme on le sait, cette tentative d’intégration de la philosophie dans la théologie dite monothéiste fut l’oeuvre de la scolastique. Par conséquent, aussi bien de la théologie musulmane que de la théologie christienne. Ce qui nous donne deux oeuvres importantes : celle d’Averroès et celle de Thomas d’Aquin.
Pour Arius, en effet, le Christ ne pouvait être qu’un prophète, et non pas un Dieu, ni le fils de Dieu. Mais toutes ces affirmations ne peuvent pas gommer le caractère particulier de cet esprit. Certes, la conscience croyante ne peut pas se poser ce genre de questions. Pour elle, l’Éternel est le Dieu en tant que tel. L’universalisation du particulier n’est pas pour elle un problème essentiel. Tous ces problèmes ne sont, pour cette conscience, que des rides sur les eaux calmes du même. Par contre, pour la conscience qui s’interroge, la dimension purement universelle d’une particularité n’est pas une évidence sans faille. C’est justement cet état de choses qui va conditionner la nécessité de l’universalisation conceptuelle de cette particularité. En d’autres termes, de l’intégration de la philosophie aristotélicienne dans la théologie de la révélation. C’est ainsi que le dieu du peuple élu va devenir l’être, voire la substance même de cette totalité, en tant que nature productrice et premier moteur. De plus, par delà la problématique purement ontologique qui fait que tout phénomène a sa raison d’être dans la substance – dans le premier moteur -, se pose la question éthique. Plus précisément la question de savoir si le Bien et le Mal ont oui ou non la même origine. Car, il est important de comprendre que si tout phénomène est une manifestation – ontologiquement parlant – de la substance, il est clair qu’aussi bien le Mal que le Bien ont la même origine. De là que le « Summum Bonum » se présente comme étant à l’origine du Bien comme du Mal. Ce qui mène, comme on comprend aisément à la présentation concrète d’un Dieu d’Amour défendu depuis toujours par le Temple et transcendant toutes les doctrines religieuses. Puis, par delà cette problématique ontologique se pose la question de savoir si la loi morale est le résultat de l’Absolu en tant que tel. Donc, de sa coïncidence avec l’idée même du Bien. Or si tel est le cas, il en résulte clairement que cette instance suprême ne peut être conforme qu’à l’idée même du Bien. Auquel cas son action ne peut pas être le résultat de sa volonté. Il devient ainsi une dimension sans volonté. Ce qui est contraire à la figure de l’Éternel d’Israël. Car comme on le sait cette figure est, dans son être même, volonté de la Volonté. La philosophie aristotélicienne ne pouvait, par conséquent, que mener à la négation de l’Eternel en tant que pouvoir. C’est précisément cette problématique qui va être saisie par Etienne Templier évêque de Paris. Lequel publie le 7 mars 1277 son « Syllabus » de 219 articles condamnant la théologie des philosophes et, donc, de la scolastique. Cette condamnation va être reprise par d’autres autorités. Ce qui fait dire à Pierre Chaunu qu’au « seuil du dernier quart du XIIIème siècle une partie affirme, contre les prétentions de la philosophie, les droits de la Révélation christienne dans son concept d’Amour universel.. Il s’agissait de légitimer l’Éternel à partir des valeurs d’ordre universel. Ce qui mène à considérer cet Absolu comme une manifestation des universaux eux-mêmes. À partir de là, le Juste, par exemple, ne peut être autre chose que ce qui est conforme à l’idée de la justice. Par conséquent ce qui n’est pas conforme à cette idée, n’est que la manifestation du Mal en tant que tel, donc au diable Il en résulte, dès lors, que la logique axiologique contenue dans la philosophie première ne pouvait conduire qu’au rejet de l’Éternel d’Israël en tant qu’instance éthique par excellence. C’est précisément cette problématique qui va être pressentie par Etienne Templier, et qui va le pousser à condamner la théologie des philosophes, plus précisément, la scolastique. La pensée de cette rupture est exprimée par le nominalisme et plus concrètement par Duns Scot et par Okham. Pour ces penseurs la loi morale n’est pas indépendante de la volonté de Dieu, mais plus exactement sa propre manifestation. Dès lors, pour faire référence au paradigme principal de cette théodicée, le droit divin de conquête (la donation) et de destruction des peuples conquis n’est pas une manifestation diabolique, mais plutôt la réalisation du « Summum Bonum » dans le monde à quoi est opposé le Dieu d’Amour du Temple
C’est justement ce rapport conflictuel entre la philosophie et la théologie de la révélation que nous allons trouver exprimé d’une façon particulièrement percutante chez Luther. En effet selon lui, « on n’est pas juste parce qu’on pratique la justice. Ce n’est qu’une fois justes que nous sommes capables de réaliser la justice ». Or, selon cette logique, seuls ceux qui seront intégrés par la communauté des croyants, seront capables d’accomplir le Bien dans le monde. Pour cette raison il est question, dans la logique de cette croyance, de communauté de saints ou de saints du dernier jour. Cela dit, ce retour à la théologie de la révélation, dans sa dimension purement particulière, n’a pas impliqué l’abandon de la volonté de légitimation axiologique de la déité défendue par ces doctrines. Le néothomisme espagnol avec Suarez, parmi d’autres, nous montre jusqu’à quel point cette conscience est capable d’attribuer à l’instance transcendante de ces particularités la logique des valeurs d’ordre universel. Ceci sans qu’une telle attribution ne produise un quelconque dévoilement de la dimension hautement négative de ces systèmes de valeurs.
La démarche cartésienne est, à ce niveau là , particulièrement significative. Pour Descartes, en effet, il s’agit de montrer l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme. Or, Dieu est pour lui l’Absolu, donc l’En-soi du monde. De là qu’il ne peut être que la synthèse de valeurs d’ordre universel. Rappelons que sa démarche n’est pas uniquement métaphysique, elle est aussi ontologique. Toutefois ce qui importe c’est qu’il ne s’appuie pas sur la philosophie première – celle d’Aristote -, mais sur la logique intuitive qui est en rapport avec le concept de l’Absolu. Pour cette raison, son discours ne sera pas suspecté d’être contraire à la théologie de révélation. Bien que les jansénistes de l’époque aient très bien senti que le dieu de Descartes n’avait rien à voir avec le dieu du Peuple Élu. Ceci est, remarquons-le, d’autant plus évident que Descartes oublie de signaler, Il s’agit de l’article 40, des célèbres 95 thèses du 31 octobre 1517. Il est très important de remarquer que ces thèses portaient comme titre : Disputatio contra scholasticum theologiam. Il est aussi significatif de noter que la thèse termine par le jugement suivant : « contre les philosophes ». De plus la thèse 42 est formulée comme suit : « c’est une erreur que de dire : sans Aristote on ne saurait être théologien? Au contraire, on ne devient théologien que sans Aristote ». Citées par Pierre Chaunu dans Les temps des Réformes, Fayard, Paris 1975, p. 36.
VII – La substance éthique de l’humain
Du point de vue purement axiologique, l’Absolu Éthique est, dans sa forme première, le noyau simple des universaux. Les universaux, comme nous l’avons déjà souligné, sont des catégories « à priori » de la conscience humaine. Aristote avait signalé, à ce propos que l’être humain est le seul animal à posséder le sentiment du Bien, du Vrai et du Juste. De plus, il nous dit que c’est cette communauté de sentiments qui permet l’existence de communautés particulières et qui conditionne l’existence de la communauté universelle donc celle d’un Dieu d’Amour. En d’autres termes, cette communauté de sentiments est ce que nous appelons le Graal éthique. Donc cette essence universelle se manifeste, aussi bien au niveau des particularités que des singularités. Pour ce qui est des singularités, il est clair que tout être humain possède en lui-même la conscience de cette dimension en tant qu’étincelle et comme fond, pour employer des termes développés par Maître Eckhart. C’est précisément cette dimension éthique qui permet à l’être humain non seulement d’institutionnaliser les valeurs d’ordre universel, mais aussi de connaître la conscience de culpabilité lorsqu’il a réalisé une action contraire aux principes conditionnés par ces valeurs d’Amour.. De plus, c’est cette communauté de sentiments qui nous permet de soutenir que les valeurs universelles sont communes à tous les êtres humains et évidentes en elles mêmes. Par conséquent, quoique l’être humain n’ait pas, à la différence de l’animal, de freins naturels à l’agression inter-espèce, il possède nécessairement l’intuition du fait que le crime n’est pas un acte noble. Car en dernière instance, comme disait Sénèque, l’homme est une chose sacrée pour l’homme. De plus, au niveau de cette perception l’être humain est conscient du fait que la bienveillance et le respect de l’autre sont les conditions de la coexistence sociale. Car il ne peut y avoir existence sans coexistence.
Aristote nous rappelle aussi que l’homme est un animal qui n’est pas destiné à vivre dans la solitude. Cet être est, par conséquent, un être qui est en acte un animal familial et social. Mais il est en puissance un animal politique et, en dernière instance, un animal cosmopolite. C’est cette dernière dimension qui a été perçue par les stoïciens. Par exemple Marc-Aurèle nous disait qu’en tant qu’Antonin il était romain, et qu’en tant qu’être humain il était membre de la communauté universelle des hommes. Nous constatons que l’être humain est, par nature, un animal familial et qu’il tend spontanément à vivre en groupes plus vastes. Dès lors d’une manière générale, l’être humain est en puissance un animal politique et cosmopolite. À ce propos, il est important de comprendre quelle dimension politique renvoie à l’existence d’un ordre social se reproduisant selon la logique du conventionnel et non pas à travers un système de croyances. Par contre, la dimension cosmopolite implique, dans son effectivité, la communauté des nations se réalisant dans l’universalité des rapports. Cela étant dit, le problème que pose ce devenir, est celui de savoir quelle est la logique de sa manifestation. Pour saisir la logique de ce processus, nous devons tenir compte du fait que toute action se réalise en vue d’une fin, car c’est au nom des valeurs que nous agissons et en vue de les accomplir. On peut ainsi dire que les principes qui conditionnent l’action sont la cause de son résultat. De plus, nous devons tenir compte du fait que toute cause est contenue dans une malveillance généralisée qui ne peut être que la manifestation d’une misanthropie fondamentale dans son résultat. Qu’il n’y a pas de rapport indifférent entre la cause et son résultat ; car tout résultat est le résultat d’une cause déterminée. Nous partons ici de la thèse selon laquelle le référentiel axiologique par excellence n’est autre que l’unité des valeurs d’ordre universel. C’est ce que nous appelons l’En-Soi éthique du monde, ou la substance éthique de l’humain. Bien évidemment cette substance se manifeste tout d’abord comme simple ensoi, puis s’extériorise dans le processus de son dévoilement comme pour-soi.
Mais ce n’est qu’à hauteur de son accomplissement que cette substance éthique devient en-soi et pour-soi. Tout ceci veut dire, plus précisément que l’Absolu Éthique est tout d’abord une dimension qui n’est pas encore consciente d’elle-même. Ce n’est que dans son propre développement que cette puissance parvient à la conscience d’elle-même. Pour cette raison nous disons que cette dimension est un pour-soi. Mais ce n’est qu’au niveau de son être accompli que se produit la conciliation entre la conscience éthique et son être ; nous parlons alors d’en-soi et de pour–soi, plus exactement de ce qui est en et pour soi. Ce mouvement peut aussi être saisi comme le processus qui est, dans sa forme première, la vérité : le règne de l’unité simple des valeurs d’ordre universel. Car la vérité de cette substance éthique dans sa plus grande simplicité est celle d’être l’unité pure des valeurs d’ordre universel. Ce qui veut dire que le noyau éthique – l’instance purement théologique, le «Summum Bonum» – n’est pas quelque chose d’extérieur aux universaux, mais ces valeurs en eux-mêmes. Ce n’est qu’au niveau de son développement, du processus d’accomplissement de cette substance, que l’Absolu Éthique se manifeste comme justice. Car c’est à travers la justice que sa dimension se réalise. Mais ce n’est qu’au niveau de son accomplissement que nous pouvons parler du règne du Bien, du Summum Bonum d’Amour. Il s’avère clair, dès lors, que du point de vue purement axiologique l’ensoi éthique n’est pas uniquement une puissance transcendant la conscience, mais aussi une mesure immanente à son être même et de l’âme. À proprement parler cette mesure n’est pas, originairement, une puissance extérieure à la conscience. Elle est plutôt, en tant qu’en-soi éthique, le résultat de l’objectivation générique de cette conscience. De là que son dévoilement est le résultat du retour de cette conscience à elle-même donc à la source Christique du Temple. Par conséquent, l’être-extériorisé, en tant qu’universalité de l’humain, cesse d’être simple “extranéation”, pour devenir conscience de la substance éthique en elle-même et pour elle-même. C’est précisément ce processus du dévoilement de la substance éthique en elle-même que nous allons essayer de saisir.
VIII – Le dévoilement de la substance éthique
Mais avant de prendre le chemin du dévoilement de la substance éthique en elle-même, il convient de tenir présent à l’esprit que le Dieu des philosophes n’est pas la vision des religions dites révélées. Il ne coïncide pas non plus avec l’Absolu néoplatonicien. Plus précisément, l’Eschaton, absolu et ineffable de Damasius. Il ne s’agit, par conséquent, ni d’un Ego-transcendantal, ou d’un dieu personnel, ni d’un premier moteur ou d’une substance de type spinoziste.
Nous n’avons pas, dès lors, affaire à un Absolu panthéiste, mais plutôt à ce qui peut être considéré comme la substance de l’être pensant. Cela dit, cette dimension est métaphysique, mais elle n’est pas un Ego-transcendantal ; laquelle es essentiellement volonté de la Volonté. L’En-soi éthique du monde est, plus précisément, le résultat de cette communauté de sentiments propre à l’humain. Lequel, au niveau générique, vous donne l’En-soi éthique. Plus exactement, l’unité simple de l’universalité de ces valeurs. Par conséquent, l’En-soi éthique est dans sa forme première l’unité simple des valeurs d’ordre universel.
Nous constatons, par conséquent, que l’être humain est cet animal non codifié par la nature, mais capable de se codifier lui-même. Son comportement étant conditionné par cette codification. Car c’est au nom de valeurs que nous agissons et en vue de les accomplir. Cette activité tire, ainsi, son origine de cette puissance qui est la communauté de sentiments ; lesquelles sont en rapport avec l’idée d’Amour, de la justice et du bien. C’est l’universalité de ces valeurs d’Amour qui donne les universaux. Plus précisément, ces sentiments en tant que référentiels de l’action Maçonnique Templière. Car l’humain possède non seulement la communauté de ces sentiments, mais aussi la nécessité de leur universalisation. Pour cela même il est question de l’unité et de l’universalité de la raison normative.
Par conséquent, en deçà de toute production signifiante il y a une instance à laquelle nous faisons référence et à partir de laquelle nous dévoilons la logique de la normativité et de l’action. Cela dit, il est important de comprendre que cette instance n’est pas uniquement transcendante, elle fait aussi partie de notre être même. Mais dans ce rapport entre l’universalité et la singularité il y a tout d’abord le fait que toute singularité est une manifestation de l’universalité, puis, il y a le fait que l’universalité est le fondement de la singularité. Nous pouvons, par conséquent, soutenir, suivant cette philosophie du logos, que l’universalité est aussi bien transcendante qu’immanente. De sorte qu’en tant que transcendance, l’universalité est l’En-soi éthique de l’humain, tandis que comme immanence elle est conscience morale. Il faut, toutefois, avoir présent à l’esprit que ces instances sont en puissance et en acte. Ce qui veut dire que le Graal est dans sa forme première simple noyau des universaux, et ce n’est que dans son dévoilement que cette puissance manifeste son contenu en tant que substance éthique de l’humain.
Puis, de son côté la singularité est dans sa forme première – non pervertie par le mensonge du monde – simple conscience morale. Ce n’est qu’à travers son accomplissement que cette détermination devient savoir de cette conscience. Par conséquent, toujours suivant cette philosophie du logos, l’universel se réalise à travers la conscience et celle-ci s’accomplit dans la réalisation pleine et entière de la puissance contenue dans l’universalité de sa substance éthique. Cela étant dit, il est important de comprendre que la réalisation de ce processus commence effectivement avec la prise de conscience du fait que les singularités et les particularités sont au même niveau des manifestations de l’universalité. Par conséquent il n’y existe pas d’être humain plus humain qu’un autre, de la même façon qu’il n’y a pas de peuple plus humain qu’un autre. Cette égalité, dans l’universalité est une dimension en puissance. Elle ne devient en acte que dans et par son accomplissement. C’est-à-dire par la réalisation d’une communauté d’égaux au niveau du particulier et d’une communauté des nations, se manifestant dans l’universalité des rapports, au niveau international d’un gouvernement supra-national. Par conséquent, l’être humain ne réalise pas, dans son processus d’accomplissement, une finalité qui lui est extérieure, mais plutôt une dimension qui fait partie de sa substance. Ainsi la finalité qui s’agite au sein de cette aventure, n’est autre que le droit effectif de tout un chacun à l’universalité de l’humain. Ce logos implique, dès lors, comme on peut le comprendre aisément, le dépassement, de tout système de valeurs tendant à imposer la suprématie des uns par rapport aux autres. Donc, d’une manière générale, l’idée de Peuple Élu et de race supérieure mais affirme le concept d’un peuple d’Amour voulu par notre Dame du St Esprit.
IX – L’univeralité de la raison
Jusqu’ici nous sommes parvenus à l’idée selon laquelle l’En-soi éthique est axiologiquement parlant, le point de départ de la réflexion englobante. Car, comme Kant l’avait signalé, la pensée tire sa cohérence d’une source unique, à laquelle elle emprunte son unité et sa logique finaliste. Or, comme nous l’avons souligné, si le point de départ éthique est une instance qui prêche la domination et l’écrasement de l’altérité, on ne doit pas s’étonner si le résultat pratique est conforme à cette exigence : la production de l’horreur et de l’universelle désolation. Car les systèmes de valeurs sont la cause de l’action, et tout effet est contenu en puissance dans sa cause.
Pour ce qui est des systèmes de valeurs, il est important de savoir que ce qui compte c’est leur finalité effective et non pas sa légitimation immédiate. Car, comme l’avait compris Protagoras, il n’est pas difficile de se cacher derrière le masque de la justice. L’imposture angélicale n’est que l’appât pour éveiller l’envie de mordre. En effet, comme on le sait, c’est au nom de bien et de la justice que l’universalité du crime a pu se manifester comme simple banalité. Cela étant souligné, il est important de constater que la philosophie première veut nous montrer que la raison peut gouverner l’histoire et que la raison doit gouverner l’histoire. Mais l’esprit de la raison ne peut pas éclairer l’être du monde et son devenir, si la cause première de son dévoilement n’est pas en elle-même l’unité des valeurs d’ordre universel. Car c’est cette unité qui est sa vérité. Puis, c’est à travers la justice que cette vérité déploie son contenu.
Mais, ce n’est que dans son être accompli que cette totalité se manifeste comme le règne du bien. Ainsi, le chemin qui mène à l’accomplissement de l’humain en lui-même, est l’itinéraire même de la raison universelle et de l’universalité de la raison de la Queste des Chantiers. Car il faut retenir que la philosophie du logos pose comme principe absolu, l’unité et l’universalité des universaux. Cela veut dire, par conséquent, que ces valeurs sont communes à tous les êtres humains et évidentes en elles mêmes. C’est en tout cas cette communauté qui est la source même de leur universalité et de leur unité. Cependant il est vrai que cette affirmation d’unité et d’universalité n’est pas actuellement acceptée par tout le monde. Karl O. Apel nous signale, concernant cela, que certains théoriciens considèrent que l’universalisme est un « euro-centrisme sournois ». À ce propos il est essentiel de saisir que, s’il est bien vrai que dans toute entreprise conquérante les valeurs avancées sont dites d’ordre universel, il est vrai aussi qu’elles ne le sont pas effectivement. Car dans ces conditions la conscience malfaisante est suffisamment réveillée pour savoir qu’elle doit avancer avec le masque de la justice. Ce qui est, alors, l’instrument de légitimation du crime ne sont pas les valeurs universelles comme telles, mais la prétention à l’universalité éthique de valeurs qui ne le sont pas. Il est important de comprendre à ce propos que l’universalisation d’un particulier donné ne peut conduire qu’à la négation des autres particularités comme de l’universalité elle-même. À l’époque des grandes conquêtes on disait, par exemple, que le dieu des chrétiens était l’Absolu comme tel. En effet, au sein de ce système de valeurs on entend par dieu tantôt l’homme-dieu, tantôt l’ego-transcendantal de l’esprit du peuple élu, tantôt, encore, l’unité de ces deux Rappelons, à ce propos, que pour Hegel ce gouvernement de la raison n’est pas un devoir-être, mais une effectivité. Ce qui est une position particulièrement anti-axiologique. Car la raison n’est pas encore de l’ordre des choses, mais de l’ordre de l’idéal car juste.Or, il est clair qu’une singularité ne peut pas être un absolu et il en va de même en ce qui concerne l’idée d’un ego-transcendantal. Car, comme l’a bien observé Leszek Kolakowski : « Si on accepte l’hypothèse que le dieu personnel est le vrai gouverneur du monde, alors il n’est pas l’Absolu ». L’Absolu ne peut-être que Dieu d’Amour unifié
Cela dit, il convient d’ajouter à cette remarque que l’Éternel ne se présente pas uniquement comme absolu au sens néoplatonicien, mais aussi au sens éthique. Comme le souligne le philosophe allemand, les prophètes « ne faisaient qu’allumer leur flamme au flambeau d’un démon assoupi ». Ce qui veut dire que pour l’auteur de La Phénoménologie de l’Esprit, les valeurs véhiculées par cet esprit non pas été empruntées au « Summum Bonum », mais bel et bien à une puissance satanique d’où l’importance de la révélation du Dieu d’Amour du Temple né de Notre Dame. Dès lors, il apparaît que ces valeurs en question ne participent pas à l’absoluité éthique. Ce qui est le cas de l’en-soi éthique. Rappelons, à ce propos, que la raison pratique kantienne postule dieu comme le Souverain Bien. ou, ce qui revient à la même chose que le Souverain Bien est Dieu ce qui a coûté la vie aux templiers Par conséquent, la philosophie du logos pose le Souverain Bien non pas comme l’absolu ontologique, mais comme un absolu métaphysique. En effet, l’absolu ontologique est l’Un en identité à lui-même, tandis que l’absolu métaphysique est l’instance axiologique du Dieu fait Homme. Or, ce que nous posons comme instance axiologique c’est précisément l’unité simple des valeurs d’ordre universel : le noyau des universaux. Bien évidemment ce noyau qui est l’En-soi éthique ne peut pas avoir la prétention d’avoir créé l’Être mais d’être le Fils de l’Etre. Ce qu’il conditionne c’est le processus par lequel se produit le dévoilement de la substance éthique de l’humain. En tant que tel l’En-soi éthique est le premier moteur de l’action chez l’être humain. Pour cette raison Héraclite avait souligné le fait que toutes les lois humaines se nourrissent de l’Un divin, et que cet Un n’est autre que le Graal. C’est ainsi que le commandement : “tu ne tueras point”, est en lui-même purement éthique car il implique le respect de l’altérité dans son intégrité physique. Pour cette raison Sénèque disait que l’homme est une chose sacrée pour l’homme. La cause de cette exigence étant le fait que l’existence implique la coexistence, et que la vie en communauté n’est pas possible si on ne respecte pas l’intégrité de l’altérité. Donc, tu ne dois pas faire à l’autre ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Pour ces raisons, tous les êtres justes s’accordent pour dire que le commandement selon lequel on ne doit pas tuer son semblable, est une exigence hautement éthique. Permettant, par conséquent, la coexistence entre les êtres humains. Mais cet impératif du respect de l’altérité se transforme en une règle misanthropique à partir du moment où sa validité n’est que particulière. Ce qui renvoie à l’idée du «Primus movens» aristotélicien, lequel, comme le souligne Kolakowsky, dans sa parfaite séparation ne peut être “cause de quoi que ce soit”(Op. cit, p.51). Il ne peut pas être non plus, éthiquement parlant, conçu comme «Maximus ens», car le tout est par définition l’unité des contraires. Donc l’espace où le négatif est en tant que tel l’autre du positif. Par conséquent le lieu du rapport indifférent de l’un avec l’autre. Plus précisément, à partir du moment où il est dit : “tu ne tueras pas les membres de ta communauté, par contre tu pourras tuer tous les autres”. Ainsi, ce qui est la manifestation même de la justice, se transforme en son contraire et ce qui est considéré comme la loi divine devient démoniaque. Ainsi ce glissement est le résultat de la négation de l’universalité qui doit être la sienne alors que le Christien dira « Tu aimeras ton prochain universel comme toi-même »
X – Égalité et différence
Il y a, à la base du dévoilement de l’En-soi éthique les déterminations essentielles de son logos. Premièrement : la logique du rapport entre les différents niveaux de l’Être. Deuxièmement, la logique de la différence au sein de l’éthique, et troisièmement, la logique de sa différence au sein de sa manifestation “englobante”. En ce qui concerne le premier point, il est important de savoir que lorsque nous parlons de l’être du monde, nous nous trouvons devant trois niveaux différents. Soit nous parlons du singulier (cet homme-ci, ce chien-ci, etc., etc.), soit nous nous référons au particulier (cette communauté sociale, cette race de chien, etc., etc.), ou bien encore nous faisons référence à une réalité dans sa dimension générique (l’homme, le chien, etc., etc.) Pour ce qui est de ces trois dimensions, nous devons tenir compte, en premier lieu du fait que le singulier et le particulier sont d’ordre empirique, tandis que l’universel ne l’est pas. L’universel est, comme déjà souligné auparavant, une catégorie abstraite. Plus précisément c’est ce que Platon appelait les “ensoi”. Puis, en ce qui concerne le rapport entre ces trois catégories, nous devons tenir compte du fait que le singulier comme le particulier sont des manifestations de l’universalité. Nous disons ainsi que toute singularité est au même niveau qu’une autre une manifestation de son universalité. Pour cette raison nous disons qu’un chien n’est pas plus chien qu’un autre, même lorsqu’il s’agit d’une race différente. Il en est de même pour ce qui est de l’être humain. Nous ne pouvons pas dire, par exemple, que la condition humaine se concrétise d’une manière plus adéquate dans un être humain plutôt que dans un autre. Car, lorsque nous disons qu’une personne est plus humaine qu’une autre, nous voulons signifier par là que cette personne a une valeur morale supérieure à l’autre. Il en est de même en ce qui concerne les particularités. En l’occurrence nous ne pouvons pas dire qu’une race de chien soit plus canine qu’une autre. Idem pour ce qui concerne les sociétés et les communautés humaines. Tout au plus nous n pouvons exprimer qu’une préférence. C’est le cas lorsque nous disons, pour rester au niveau de l’humain, que nous préférons telle ou telle manifestation culturelle, ou telle ou telle nationalité plutôt qu’une autre. Cela fait, par conséquent, que l’universel est l substance des singularités et des particularités. Il joue, pour ainsi dire, le rôle de substrat. Car il est ce par quoi le singulier et le particulier sont ce qu’ils sont et rien de plus. Or, dans ce rapport nous devons tenir compte du fait que l’universalité prime aussi sur la particularité. Ceci dans le sens où Socrate est un être humain avant d’être un grec.
En tout cas, cette détermination immédiate de l’universalité sur les singularités fait que tout être se reconnaît dans son genre. En effet, un chien ne prendra jamais un autre chien, quelle que soit sa différence raciale, pour ce qu’il n’est pas : par exemple un mouton ou un cochon.
Par conséquent, la détermination, la manifestation immédiate de l’universalité dans les singularités est ce qui donne la dimension de l’égalité des singularités entre elles. À ce propos, au niveau religieux il est dit que tous les hommes sont les fils de Dieu. Ce qui veut dire que d’un point de vue purement Christique il n’y a pas d’un côté des fils légitimes, et de l’autre, des fils adoptifs dont leur rôle serait de servir les premiers. Ce qui rend obsolète les lectures juives. Pour cette raison la philosophie première a parlé d’isothymia : égalité en dignité. Car tous les êtres humains ont le même besoin de reconnaissance et de respect de leur dignité. Pour cette raison il est dit que la voie vers la solidarité et la fraternité universelle passe par le respect de la dignité de tous les êtres qui la composent. Mais comme nous venons de le signaler, cette égalité est en puissance. Elle ne peut devenir en acte que dans et par le dévoilement de cette puissance à travers la réalisation de la substance éthique de l’humain. Ceci veut dire, par conséquent, que la réalisation accomplissante de l’humain n’est pas le résultat du développement de son imagination créatrice, mais bel et bien de ce qui est contenu en puissance dans le logos de son être. Cela étant souligné, nous passons maintenant au développement du deuxième point. Plus précisément, à la logique de la différence au sein de l’éthique. Ceci nous renvoie à la loi ontologique de base qui n’est autre que la loi des contraires. Car comme il a été souligné par la pensée théorique depuis son aube : la loi des contraires est le fondement de l’Être. En ce qui concerne la problématique du rapport entre le positif et le négatif, il est important de signaler que pour Aristote cette loi ne se manifeste pas de la même manière au niveau physique qu’au niveau éthique. En effet, au niveau physique, soi le positif s’oppose au négatif, soit le négatif se trouve contenu dans le positif. Par contre, dans le domaine de l’éthique le négatif est ce qui s’oppose au positif, soit par excès, soit par défaut. Le positif se présente ainsi comme la proportion raisonnable comme ce qui est contraire aux extrêmes. La dimension générique est contenue pareillement dans tous les hommes. Il faudrait plutôt dire déroulement, car il s’agit du développement d’une dimension qui est en puissance et est, par là même, la finalité de cet être. Toutefois, cette explication au sein de la différence fondamentale ne doinas faire croire que le positif est une sorte de centrisme. Il convient plutôt de comprendre que selon la philosophie du logos, le positif est plutôt la mesure comme telle : la mesure raisonnable. Par conséquent, cette mesure est d’ordre axiologique, correspondant à l’idée du juste, donc, à ce qui est conforme à l’idée de la raison. Pour cela même Aristote nous dit que la raison est cette faculté capable de faire la différence entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. En ce qui concerne la problématique de la logique des contraires, il convient de rappeler qu’elle s’oppose à la thèse hégélienne selon laquelle le vrai ne s’oppose pas au faux comme à une dimension différente en tant que telle. Pour lui, en effet, l’autre est en tant qu’autre, l’autre et le non autre de son autre. Ce qui veut dire concrètement que le négatif est un moment du positif. Donc, il n’y a pas de négatif pur ou de positif pur. Ce qui implique, comme on peut aisément le comprendre, une relativisation des contraires. Or ce que pose la philosophie première c’est justement le contraire. Plus précisément le fait que les valeurs d’ordre universel ne sont pas des relatifs, mais plutôt des absolus
Car si les universaux ne sont pas des absolus, il nous serait impossible de parler de l’En-soi éthique comme de l’absolu éthique du monde. Bien évidemment l’absolu ne doit pas être pris dans le sens ontologique, mais plutôt dans un sens éthico métaphysique. Car les universaux sont, pour nous humains, des référentiels éthiques en dernière instance.
Cela étant souligné, passons maintenant à la troisième détermination du logos se manifestant, comme point de départ, de l’En-soi éthique du monde. Plus précisément, avec la logique de sa différence, au sein de sa manifestation englobante. En effet, nous avons déjà souligné que l’En-soi éthique est cette vérité qui se manifeste à travers la justice et s’accomplit comme le règne du Bien, de l’Amour.
Nous avons ainsi affaire à ce processus de dévoilement de l’idée de la justice. Plus précisément à la manifestation première de l’idée de la justice. Car il est important de comprendre que ce dévoilement n’est pas le résultat d’un mouvement arbitraire, mais celui d’une nécessité. En effet, l’En-soi éthique est en lui-même un être en puissance. Il ne devient vérité effective que dans et par son développement. Son dévoilement se présente, ainsi, comme la manifestation de la raison en elle-même. Cela dit ce processus de dévoilement se concrétise au sein de la raison pratique elle-même. Donc de cette pratique dont la finalité est la production d’un ordre institutionnel. En d’autres termes dans ce mouvement la moralité qui est en elle-même devient pour elle-même : elle s’objective au niveau des institutions. Pour cette raison nous disons que la moralité s’objective à travers la raison pratique et se concrétise dans un ordre du monde donné, dans un ordonnancement institutionnalisé comme en est porteur le projet de notre Ordre.
Mais, au sein de cette logique l’acte créateur n’est pas une pratique définitive. Il s’agit bien d’un processus dont la finalité englobante est la concrétisation d’une communauté d’égaux au niveau universel. Il convient, toutefois, de rappeler que ce processus d’objectivation se manifeste au sein du monde réel. Donc, en dernière instance, au sein de la loi des contraires. Par conséquent, la raison théorique qui est à la base de la pratique de la raison ne peut se diffuser que selon la logique de cette loi. En réalité c’est cette diffusion qui nous intéresse ici en premier lieu. Mais nous devons tenir compte du fait qu’il y a ici concordance entre le principe de cette manifestation et la logique de l’être au sein duquel cette diffusion se concrétise. Car le social est comme tel ce rapport entre l’Etat et la société civile. Plus précisément la relation entre le règne de la propriété publique (res-publica) et le règne de la propriété privée. De telle sorte que cet ordre (social) ne peut pas exister en dehors de ce rapport. Par conséquent, il ne peut pas y avoir société sans État, ou ordre social où tout est État. Il doit y avoir nécessairement rapport de l’un avec l’autre. Bien évidemment, la question de savoir quelle est la proportion raisonnable au sein de ce rapport, est un autre problème. Nous aborderons cette question plus loin. Ce qui nous intéresse pour le moment c’est de constater que l’ordre social comporte deux dimensions différentes : l’État et la société civile. Il s’avère, dès lors, clair, que le logos devant conditionner l’existence d cette réalité ne peut se manifester que suivant la loi des contraires. Par conséquent la question se pose de savoir quelle règle de la justice est susceptible de se manifester selon la logique des contraires. C’est encore Aristote qui nous donne le point de départ de ce mouvement lorsqu’il nous dit que la justice veut que l’égal soit traité en égal et l’inégal en inégal. De plus il nous signale que la justice se manifestant selon la logique de l’égalité est la justice corrective, et celle s’extériorisant selon la logique contraire (de l’inégalité) est la justice distributive. Nous voilà donc armés de deux concepts axiologiques permettant de saisir le dévoilement, le déroulement, de l’En-soi éthique dans le monde. À savoir le principe de la justice susceptible de se manifester comme mécanisme d’ordre objectif.
XI – La justice corrective et la justice contributive
Le principe de la justice veut que l’égal soit traité en égal et que l’inégal soit traité selon sa propre détermination. Dès lors la question se pose de savoir en quoi nous sommes égaux et en quoi nous sommes inégaux? Plus précisément, dans quel domaine doit s’exercer la justice corrective et dans quel autre la justice distributive? En ce qui concerne le principe de l’égalité, nous avons vu que nous le sommes du point de vue générique. Ce qui fait que toute singularité est au même niveau une manifestation de son universalité que n’importe quelle autre. Cela fait, par conséquent, qu’entre égaux l’échange doit être proportionnel. Le rôle de la justice est de garantir et de promouvoir cette égalité. Plus précisément, de rétablir cette égalité, là où elle est violée. De sorte que si A et B sont en rapport d’égalité ce qu’ils échangent doit être proportionnel. Mais si un échange donné ne l’est pas, nous disons qu’il y a injustice des deux côtés, car il y a, en l’occurrence, un gagnant et un perdant. Le rôle de la justice est, dès lors, de rétablir la proportionnalité. Le gagnant doit ainsi indemniser le perdant à hauteur du préjudice subi. Le but de cette correction étant de rétablir la proportionnalité conforme ou principe de l’égalité. Pour cette raison nous disons qu’entre égaux le juste est l’égal et le proportionnel, tandis que l’injuste est l’inique et ce qui n’est pas proportionnel. Mais, la justice corrective ne se rapporte pas uniquement à l’égalité dans le domaine de l’échange et des contrats. Ce principe de l’égalité s’accomplit dans le domaine du droit pénal et des droits politiques. Pour cette raison, il est question d’égalité devant le droit (isonomia) et l’égalité devant le pouvoir (isocratia). Ainsi la justice corrective participe d’une manière extrêmement significative à l’accomplissement du principe de l’égalité de chances qui conditionne ce processus menant à l’accomplissement de la communauté d’égaux. Cela dit, comme nous venons de le souligner, la justice corrective trouve son complément dans la justice distributive. Mais avant de développer ce domaine, il est important de rappeler que la logique de l’égalité ne peut pas se manifester sans le principe de la liberté. Car le sujet capable de se manifester au sein du logos de la raison universelle, ne peut être qu’un être qui est en lui-même cause de lui-même. La liberté est ainsi consubstantielle à cet être qui pense son monde à partir de lui-même. Ceci est d’autant plus vrai que penser est pensé pour soi-même. Puis, comme nous l’avons entrevue, dans cette action de la réflexion, la conscience de soi se rapporte, à travers elle-même, à sa substance générique. Pour cette raison, le développement de la substance éthique est non seulement accomplissement de l’être du monde, mais aussi accomplissement de soi même la raison et l’intellect sont ainsi, comme l’a souligné l’Aristote, la fin de notre nature réunis dans l’Amour Divin
Cela dit, la liberté implique la responsabilité. Car en tant que sujet qui est pour lui-même, la singularité est non seulement responsable de ses actes, mais aussi de sa pensée. Puis, c’est à travers la pensée que nous assumons le rôle de la raison dans l’Histoire. L’action rationnelle est, quant à elle, celle qui est conforme à la finalité axiologique de l’humain. Le processus d’individualisation est ainsi la condition même du développement de la substance éthique de l’humain. La liberté, le chacun pour soi, est dès lors le point de départ et le fondement de ce mouvement d’accomplissement de la raison en elle-même. Car, comme nous l’avons déjà démontré, l’ordre social se reproduit grâce à la logique de l’individualité. De sorte que la société produit l’individualisme et l’individualisme reproduit l’ordre social. La finalité de ce processus étant l’individualisme accompli dans la liberté et dans l’égalité. Mais, comme nous l’avons signalé, plus haut, le mouvement de production de cette finalité axiologique implique non seulement la réalisation pleine et entière de conditions de la justice corrective, mais aussi de la justice distributive. En effet, cette dernière forme de la justice est celle qui a pour relation le principe de l’inégalité. Car comme l’avait indiqué Aristote, nous sommes inégaux par rapport à la constitution et à la distribution de la chose publique. Ce qui veut dire, plus précisément, que la justice distributive présuppose la justice contributive. Donc, la constitution, via les prélèvements obligatoires, de ce qui doit être distribué. Nous allons, par conséquent, commencer avec le problème de la contribution.
En effet, la justice contributive veut que l’inégal soit traité en inégal. Car il faut être conscient du fait que la société civile est le règne de l’inégalité. Il y a des gens qui ont plus de richesses que d’autres, c’est-à-dire d’une manière générale ceux qui sont très fortunés, tandis qu’au contraire beaucoup de personnes n’ont pas les moyens d’assurer une vie dans la dignité. C’est justement cette inégalité qui fait que des États se trouvent dans l’impossibilité manifeste de prélever tout ce dont ils ont besoin d’une manière égalitaire. Car si l’on avait à diviser les besoins des États entre le nombre de contribuables, il est clair qu’il y aurait beaucoup de personnes qui ne pourraient pas payer la part qui leur reviendrait Il s’agit, par conséquent, de prélever selon le principe de l’inégalité. Plus précisément, selon la capacité de chacun. Ce qui veut dire que les riches doivent contribuer d’une manière plus significative que ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens. Bien évidemment, dans ces conditions, ceux qui n’ont rien ne doit être acquittés de toute contribution. D’une manière générale nous savons que les prélèvements obligatoires se réalisent de deux manières différentes : les impôts directs et les impôts indirects. On peut aussi parler de prélèvement à la source, mais cette ponction est très proche de la contribution directe. Mais, pour éviter toute confusion, nous allons nous limiter aux deux formes classiques des prélèvements obligatoires. Nous allons aussi, pour les mêmes raisons, laisser de côté les prélèvements lors de l’entrée des biens dans un territoire donné. Car ce mode de prélèvement est une forme d’impôt indirect. Par conséquent, en ce qui concerne les impôts directs et indirects, nous constatons que les premiers sont faits selon le principe de l’inégalité, tandis que les deuxièmes s’opèrent selon le principe de l’égalité. Car, pour ce qui est de l’impôt indirect toutes les personnes qui achètent un bien donné payent la même chose, aussi bien ceux qui ont beaucoup de moyens que ceux qui n’ont rien. Pour cette raison, dans les pays où il y a un souci de nivellement social, tous les biens ne sont pas frappés de la même taxe. On fait alors la différence entre lesproduits de première nécessité et les produits de luxe. Ces derniers subissent dès lors une taxe supérieure aux biens de première nécessité. En agissant de la sorte on pense réduire l’impact inégalitaire de l’impôt indirect. Ce qui est le cas lorsque ces différences sont bien dosées.
Cela dit, il est important de rappeler que dans l’Empire Romain comme dans les pays dits sous-développés, la presque totalité de la contribution est formée par les impôts indirects. Cela explique l’importance des inégalités sociales dans ces réalités. Nous constatons, en tout cas, que les pays les plus nivelés sont ceux dont l contribution dépend le moins de l’impôt indirect. Car la contribution, selon le principe de la justice, doit se réaliser selon le principe de l’inégalité. Doivent donc être taxés ceux qui ont les moyens et non pas ceux qui n’en ont pas. Nous trouvons cette logique dans l’article 13 de la première « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », où il est dit concrètement : «La contribution doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
XII – L’État de Droit
La justice contributive nous mène ainsi à la justice distributive. Car la chose publique est, du point de vue comptable, l’ensemble des richesses mises, à la disposition de ceux qui contrôlent l’État. Par conséquent de ceux qui sont légitimés par la loi de la majorité.
En effet, le pouvoir dont il est question ne peut être qu’un ordre conditionné par la loi, par la pratique de la raison. Il s’agit, par conséquent, d’éviter que la chose publique soit objet d’appropriation ou de monopole par une clique quelconque. La justice corrective correspond ainsi à un ordre où le niveau, d’objectivation de la moralité est particulièrement important. Car, il faut être conscient que la “patrimonialisation” de la chose publique correspond à la logique d’un ordre qui n’a pas encore atteint l’objectivation de l’État de droit. En effet, au sein de cet ordre qui est celui où le droit impose sa propre logique, la chose publique ne peut pas être objet d’appropriation, car elle est par définition la chose de tous. Or l’ensemble de ces richesses doit jouer un rôle de nivellement social. Plus précisément doit permettre la réalisation de la finalité éthique de l’État.
De sorte que la finalité éthique de l’État, telle qu’elle s’extériorise avec la justice distributive, ne peut se manifester qu’au sein d’une logique institutionnelle qui est celle de l’État de droit. Cela fait que le développement de ce processus institutionnel est antérieur à la concrétisation de la justice distributive. Par conséquent, cette forme de justice a comme double fondement, d’un côté, la contribution fiscale selon son concept de la justice et de l’autre côté, la manifestation accomplissant du droit dans les institutions. Nous allons, pour ces raisons, essayer de saisir la logique de ce mouvement avant d’expliciter la justice distributive.
Nous l’avons déjà souligné, le point de départ de l’objectivation de la moralité dans les institutions, est la production de l’individualité. Car l’individualisme est un produit du droit. Il présuppose une capacité normative et implique la sécurité juridique.
Dans l’histoire du monde moderne cet acte de création se produit en Angleterre avec l’Habeas Corpus Act, en 1679. En effet, avec l’Habeas Corpus, l’État reconnaît et garantit la liberté et la sécurité des individus. Ce qui mène nécessairement au développement de la justice numérique selon laquelle un vaut un et pas plus qu’un. Or l’individualisme déclenche le processus de son propre accomplissement à travers l’égalité devant le droit et l’existence d’un droit commun à tous les membres de la communauté sociale. Ainsi l’individualisme va permettre le développement de la loi du plus grand nombre. Laquelle est en elle-même la puissance régulatrice de l’ordre social. Car l’institutionnalisation de l’individualisme secrète nécessairement le pluralisme l’apparition des minorités agissantes, des élites du pouvoir. Ce changement implique donc le passage du principe de la souveraineté appartenant au Roi, au principe de la souveraineté populaire, du plus grand nombre. De sorte que l’individualisme donne naissance au pluralisme, à l’apparition des partis politiques. Puis, c’est le développement d constitutionnalisme. Plus précisément du règne d’une loi fondamentale capable de réguler le rapport entre les élites du pouvoir. Car, les élites du pouvoir ont en commun dans la finalité de leur action, l’accès au pouvoir. Il faut, par conséquent, qu’une puissance supérieure puisse les départager dans leur lutte pour le pouvoir. Cette puissance n’est autre que la loi du plus grand nombre. Pour cette raison le constitutionnalisme énonce le principe de cette suprématie. Le peuple joue ainsi le rôle d’arbitre et donne le pouvoir tantôt aux uns, tantôt aux autres. Le constitutionnalisme est, quant à lui, la manifestation de l’État de droit.
Par conséquent, le point de départ du jeu politique. Il convient de rappeler, à ce propos, que c’est par convention que nous appelons État de droit cet ordre gouverné par une loi fondamentale. Car, en dernière instance, tout État est un ordre juridique mais dans un ordre non encore réglé par la pratique de la raison instituée, l’instance suprême est l’arbitre de celui qui contrôle le pouvoir.
Pour cette raison nous ne pouvons pas parler de politique, mais plutôt d’autocratie plus ou moins diluée par la volonté des pairs du royaume, par l’aristocratie. En effet comme l’a souligné Aristote, le règne du politique est celui dans lequel le pouvoir est donné aux lois et non pas au Roi, puisse-t-il être l’homme le plus sage. Il nous dit aussi qu’au sein de ce monde (du politique) nous ne devons pas donner le pouvoir suprême aux hommes, mais à la raison. Laquelle, en tant que raison pratique, s’objective dans un ordre institutionnel conditionné par une norme supérieure. Il devient évident, dès lors que le politique présuppose le règne de la loi du plus grand nombre. Bien entendu, le principe de la souveraineté du plus grand nombre n’implique pas l’automatisme de son universalisation. L’Histoire nous montre, précisément, que l’universalité est une dimension qui est en puissance. Elle ne peut se réaliser que dans et par la conscience collective de sa nécessité. Par contre, nous constatons un automatisme entre l’individualisme et le pluralisme, plus précisément entre la formation de l’individualisme et celle du pluralisme. L’expérience de l’Habeas Corpus Act nous montre, en effet, que c’est l’acte d’institutionnalisation de l’individualisme qui produit le pluralisme.
Nous avons par la suite un autre automatisme qui est celui qui mène à l’État de droit, au règne du « nomos », au constitutionnalisme. Car les partis politiques ont tous la même finalité : l’accès au pouvoir. Il faut, par conséquent, l’existence d’une force supérieure capable de les départager. De là l’institutionnalisation de la souveraineté populaire, du principe du plus grand nombre. Donc le peuple, plus ou moins élargi, joue le rôle d’arbitre ; en déterminant, selon le principe du plus grand nombre, ceux qui accèdent au pouvoir. Cela étant souligné, il est important de comprendre que selon la philosophie politique du logos, le pluralisme ne veut pas dire démocratie. En effet, l’État de droit peut se manifester soit comme État oligarchique, soit comme État démocratique. L’ordre oligarchique est, quant à lui, celui où le principe de l’égalité devant le pouvoir – l’ « isocratia » – n’est pas encore accompli. Nous constatons très souvent que dans un tel ordonnancement la dimension même de l’« isonomia » n’est pas encore accomplie non plus. Ceci fait, par conséquent, que le système oligarchique est celui où une minorité alterne au pouvoir. De telle sorte que se sont toujours les mêmes qui y accèdent. Ainsi, comme disait Aristote, le reste de la population est frappé d’indignité.
Dans ces conditions, la société se trouve divisée, comme le voulait l’Abbé de Sieyès, entre citoyens actifs et citoyens inactifs. De sorte que les citoyens actifs sont les vrais sujets du pouvoir. Les citoyens inactifs ne sont là, dans ces conditions, que pour jouer un rôle d’arbitre et légitimer ceux qui accèdent au pouvoir.
L’Histoire passée nous montre et nous démontre que le pouvoir oligarchique est très souvent lié à l’existence d’une minorité ethnique et/ou culturelle. Laquelle se caractérise aussi par le fait de contrôler l’essentiel des richesses sociales. À l’époque moderne, avec le développement de l’appareil de l’État, la dimension oligarchique est plutôt liée au phénomène du nomenklaturisme. Plus précisément à l’existence d’une minorité de seigneurs de la chose publique. Par conséquent, à l’existence du statut de permanents dans l’administration publique. Ainsi, le monopole de la chose publique par une caste de permanents entraîne le fait non seulement que cette minorité produit l’élite politique, mais aussi qu’elle tend à se reproduire en tant qu’élite sociale. Ceci fait, par conséquent, que la classe nomenklaturiste devient l’élite politique et la classe dominante par excellence. Il convient, bien entendu, de souligner que la manifestation fondamentale de ce phénomène nomenclaturiste est non seulement le fait qu’elle tend à occuper l’ensemble de l’espace du pouvoir, mais aussi qu’elle tend à s’auto-reproduire. donc à se transformer en une véritable caste sociale. De sorte que le nomenklaturisme, avec la dimension castifiante qui lui est consubstantielle, est en lui-même la négation de la finalité axiologique du social.
Par conséquent de ce processus qui tend à assurer et promouvoir l’égalité des chances entre les membres de la communauté sociale. Il est important de noter que le phénomène du nomenklaturisme n’est pas un produit de la révolution libérale. Il va se développer surtout avec la crise de l’entre- deux-guerres mondiales. D’une manière générale cette pratique a été légitimée par le principe de l’efficacité. Max Weber considérait, à ce propos, que la bureaucratie est la forme la plus rationnelle de gouvernement. Ceci parce que, selon ce discours, une élite administrative ne peut être efficace si elle n’est pas libérée du problème de l’insécurité de l’emploi. Or, ce que ces arguments oublient c’est de tenir compte du fait que l’efficacité ce rapport a la capacité optimale d’une action en vue d’une fin. Nous disons par exemple que tel ou tel moyen est plus efficace en vue de telle ou telle fin. Par conséquent, l’efficacité renvoie à la capacité des moyens employés en vue d’une fin. En d’autres termes, l’efficacité n’est pas une fin, mais ce qui est le plus adéquat à la réalisation d’une fin. Par conséquent, lorsqu’on soutient qu’une élite est plus efficace qu’une autre, on oublie de dire par rapport à quelle fin elle l’est. S’agit- il, en l’occurrence d’une fin qui est en elle-même générale, ou plutôt particulière? Car ce qui est sous-entendu, n’oublions pas, dans l’argument que nous analysons, c’est l’idée du bien-être général. Or, dans la pratique nous avons affaire à une finalité qui est essentiellement particulière. Il ne s’agit donc pas du bien-être général, mais plutôt de la sauvegarde des intérêts de ceux qui contrôlent le pouvoir. Ce n’est, dès lors, pas un hasard si le phénomène nomenklaturiste produit l’inégalité devant le droit du travail et secrète une différence bien claire entre ceux qui sont dans la sécurité de l’emploi et ceux qui ne le sont pas, parce que soumis à la loi de l’offre et de la demande dans le marché du travail. Il convient de remarquer, en ce qui concerne cette problématique, que le discours apologétique considère que cette dualité n’exclut pas le principe de l’égalité des chances. Car selon les principes tous les citoyens ont la possibilité de se présenter comme candidats aux fonctions publiques. Mais, comme on le sait, ces possibilités sont très rares, car généralement les places sont prises. Ce qui rend ce principe inefficace. Tout en garantissant la dualité sociale dont nous venons de parler. Le mouvement marxiste va, pour sa part, considérer nécessaire de surmonter cette dualité. Il ne s’agit pas pour ce mouvement de rétablir le principe de la concurrence, propre à l’univers individualiste, mais de créer les conditions de la sécurité de l’emploi pour tous, entraînant par conséquent, que dans la concrétisation de cette idéologie aussi bien les chefs, que les gardiens et les ouvriers auront de postes à vie. Ainsi, on aura comme résultat non seulement le fait que les chefs resteront des chefs, les gardiens des gardiens et les ouvriers des ouvriers, mais aussi et surtout que les chefs produiront des chefs et ainsi de suite. Ce qui mène, comme on peut le comprendre, à la castification du social. Par conséquent, au dépassement de la logique du monde individualiste. Plus précisément, du monde qui est en lui-même la manifestation de la substance éthique de l’humain. Cela étant souligné, il est important de rappeler que le terme nomentklatura est un concept qui s’est développé à partir de la pratique du marxisme. Il voulait signifier, lors de sa formation, l’ordre hiérarchique dans la fonction publique. Ce n’est donc pas un accident si le concept de nomenklaturisme dérive d’une expérience qui en elle-même est la négation de l’objectivation de la moralité.
Car il est important de comprendre que la moralité sociale s’objective, comme nous l’avons déjà signalé, à travers le droit, l’économie et le politique. Ce qui veut dire que ces domaines du savoir et de la pratique sociale sont des moyens. Moyens qui existent en vue de l’accomplissement de la fine éthique contenue dans leur propre substance. Pour ces raisons, nous pouvons dire que l’action est rationnelle lorsqu’elle est conforme à sa fin. Dès lors se pose aussi la question de savoir si les moyens sont ou non conformes à la fin en vue de laquelle ils existent. Car les fins sont toujours supérieures à leurs moyens. De là, la nécessité de saisir clairement la logique de ce processus
XIII – La Démocratie
Comme nous l’avons souligné plus haut, la démocratie est la manifestation accomplissante de l’État de droit. Ceci veut dire que dans la démocratie aussi bien «l’isonomia» que « l’isocratia » trouvent leur réalisation pleine et entière. Cela veut dire, par conséquent, que dans l’ordre démocratique le principe d’égalité atteint un niveau plus élevé, car il n’y a plus de différence entre citoyens actifs et inactifs.
La démocratie se présente ainsi comme la formation où l’État de droit trouve son accomplissement. Il est toutefois important de comprendre que l’État démocratique n’implique pas l’État de justice. Plus précisément l’ordre où la justice sociale manifeste sa plénitude. Ainsi, le but de l’État démocratique n’est pas de réaliser la justice sociale consciente d’elle-même, mais d’empêcher la monopolisation de la chose publique.
En effet la chose publique est la propriété de tous et ne peut être, selon son concept, ni objet d’appropriation, ni objet de monopole par une minorité quelconque. De sorte que la non-appropriation de cet ensemble de richesses est une exigence de l’État de droit. Pour cette raison, la patrimonialisation ou la simple appropriation de la chose publique est considérée comme une pratique perverse, contraire à l’esprit de l’existence sociale. Le monopole de la chose publique est, quant à lui, contraire à l’esprit de démocratie. De ce point de vue, la démocratie joue un rôle régulateur : elle empêche l’existence d’une caste de seigneurs de la chose publique, donc d’une nomenklatura. La forme que prend cette puissance régulatrice est précisément le principe de l’alternance pure. Par conséquent le fait que tous les citoyens, comme nous le dit Aristote, ont le droit d’être à tour de rôle gouvernant et gouverné.
Ceci veut dire plus concrètement que premièrement, les fonctions publiques sont temporaires et que deuxièmement tous les citoyens ont le droit de postuler à ces fonctions. De telle sorte que l’alternance ne concerne pas uniquement l’élite politique, mais aussi l’ensemble du corps administratif. C’est, précisément, ce qu’on appelle en France le système de la spoliation. Terme qui est en lui-même, hautement significatif, car la classe de permanents tend à considérer la perte de ce qu’elle considère un droit acquis, comme une spoliation voir les énarques. Il s’avère clair que du point de vue de la théorie politique pure l’État de droit se manifeste soit sous la forme oligarchique, soit sous la forme démocratique, faisant que le règne de l’État de droit s’accomplit avec la démocratie. En effet du point de vue logique l’« isonomia » trouve sa réalisation pleine et entière dans l’« isocratia »; et c’est, justement, dans la démocratie que ce processus trouve son accomplissement. Ceci veut dire, par conséquent, que dans la démocratie la différence entre les citoyens actifs et les citoyens inactifs n’existe plus, car tous sont des sujets du pouvoir. De sorte que dans un tel ordre ce ne sont pas toujours les mêmes qui sont au pouvoir et exercent les fonctions administratives.
En effet, dans une telle réalité de la même manière qu’il n’y a pas de postes politiques à vie, il n’y a pas de fonctionnaires à vie comme en France. Car, comme disait Aristote si ce sont les mêmes qui sont toujours au pouvoir, cela veut dire que le reste de la population est frappé d’indignité. Par conséquent, la démocratie, par le biais de l’alternance pure, accompli «l’isothymia», l’égalité en dignité. Cet accomplissement passe comme nous l’avons déjà souligné par la réalisation de l’« isonomia » et de l’« isocratia ». Dans ces conditions la chose publique n’est plus une source de privilèges, ni de profits. Les ressources communes sont ainsi destinées à promouvoir et assurer l’égalité de chances au sein de la communauté sociale.
Car la démocratie ne réalise pas l’État de justice ; donc l’État conditionné par l’universalité de la raison. Par conséquent, l’ordre démocratique ne fait que préparer les conditions de l’État de justice. Plus précisément, de l’égalité de chances et du nivellement social par le haut. Il est donc clair que la démocratie est le résultat d’un processus – le mouvement du politique en lui-même – qui commence par l’institution de la sécurité juridique et de l’individualisme et connaît comme moments essentiels :
le pluralisme (politique) et l’État de droit. Il convient de remarquer que dans ce mouvement nous avons affaire à un processus nécessaire. Car l’individualisme sécrète nécessairement le pluralisme et le régulateur englobant qui le constitutionnalise, c’est-à-dire l’État de droit.
En ce qui concerne ce mouvement nous devons garder présent à l’esprit que le processus qui mène du pluralisme à l’État de droit implique le principe de la souveraineté populaire et de la loi du plus grand nombre. Ainsi le suffrage (plus ou moins universel) est le mécanisme régulateur de cet ordre pluriel qui a besoin d’un pouvoir unifié. Ce qui est, en lui-même, le jeu du politique.
Bien évidemment lorsque nous parlons de nécessité dans un processus, nous voulons dire qu’il ne peut pas en être autrement. Nous avons, par conséquent, affaire au sein de ce mouvement à des automatismes. Ce qui n’est pas le cas du processus qui va de l’oligarchie à la démocratie et à l’État de justice. En effet le dépassement de l’horizon oligarchique n’est pas le produit d’un quelconque automatisme. Il s’agit bien d’un mouvement qui est le résultat du développement de la conscience sociale. Donc de la conscience nécessaire à l’accomplissement du principe de l’égalité contenu dans la logique de cet ordre.
En effet, le principe de la liberté contenu dans l’institutionnalisation de l’individualisme – plus ou moins développé – permet la réalisation accomplissante du principe de l’égalité contenu dans l’« isonomia » et l’« isocratia ». Car l’égalité numérique – donc le fait qu’un vaut un et pas plus d’un – est le fondement même de la finalité axiologique : de la communauté d’égaux. Laquelle est, au sens strict du terme, le résultat de l’accomplissement de la communauté juridique en elle-même. Pour ce qui est de la communauté juridique; elle réalise le principe de l’égalité qui lui est consubstantiel, tout en respectant le différence principale du genre humain qu’est la différence entre l’homme et la femme. En effet le principe de la parité, dans la représentation, dont il est question actuellement trouve son fondement dans cette dualité.
Cette exigence manifeste sa plus haute légitimité dans le cas du pouvoir législatif. En effet la production normative ne concerne pas uniquement les hommes, elle concerne aussi les femmes. Il est dès lors essentiel, du point de vue de l’égalité et de la justice, que ce pouvoir soit paritaire. Bien sûr cette exigence est non seulement inscrite dans la logique de la production normative, mais aussi dans celle de l’exécution de ces normes. Dans la pratique de la sphère politique, la revendication du principe de la parité, trouve sa cohérence avec la nécessité rationnelle de surmonter la personnalisation dans la représentation démocratique. Nous ne choisissons pas les hommes sinon, comme disait Aristote, la raison politique. Ce qui veut dire qu’au niveau de la rationalité politique, ce qui compte , ce ne sont pas les personnes – dites “messianiques” – mais les principes et les programmes véhiculés par les différents mouvements politiques. De sorte que lorsque les partis politiques substantiellement démocratiques se présentent devant les électeurs, ils doivent tenir compte aussi bien du pluralisme social comme de la parité entre les hommes et les femmes.Cela dit nous devons être conscients du fait que ce processus d’accomplissement est la manifestation de la raison instituante. Donc de la raison théorique capable de réaliser pratiquement sa propre finalité axiologique.
Ce qui est l’aventure politique par excellence, car la politique est la manifestation de la raison instituante et ne peut pas être réduite aux simples conséquences du suffrage plus ou moins universel, et encore moins au simple maintient d’un pouvoir étatique.
IV – Pouvoir et politique
Du point de vue de la philosophie du logos, la moralité s’objective au niveau institutionnel, à travers le droit, l’économie et la politique. Dans ce sens la politique est le moyen le plus noble de la raison instituante. Donc de ce processus qui va de la création de l’individualisme à la réalisation pleine et entière de la communauté juridique. Dans cette logique, la politique n’est pas le résultat d’un «rapport de force», mais plutôt la manifestation de la raison instituante. Pour cette raison, le modèle de la pratique politique, dans sa manifestation première n’est pas Le Prince de Machiavel, mais plutôt le mouvement historique de la révolution anglaise qui va de l’ Habeas Corpus Act (1679) à la déclaration des droits. En ce qui concerne la première thèse qu’on appelait jésuitique il y n’a pas si longtemps, il convient de rappeler qu’ il est vrai que la fin justifie les moyens, au nom des fins que nous agissons et en vue de les accomplir. Mais nous ne devons pas perdre de vue que toute fin n’est pas axiologique et qu’éthiquement parlant les moyens doivent être conformes à la logique de la finalité. Dans ce sens la conquête du pouvoir, en tant que manifestation de la volonté de puissance, n’est pas une perspective axiologique. Pour cette raison soutenir que « Le pouvoir est ce qui se conquiert et se conserve dans l’État (et cela définit proprement le politique) »c’est exprimer un jugement anti-éthique, et contraire à la raison politique. En effet, le but de l’action politique n’est pas l’État en tant qu’État, mais plutôt une de ses manifestions. Nous parlons ainsi, à ce propos, d’État oligarchique, d’État démocratique et d’État éthique. Car ce n’est pas la même chose que de maintenir et de consolider un ordre qui sauvegarde l’intérêt de ceux qui contrôlent le pouvoir, que de promouvoir un ordre qui assure l’intérêt de tous. C’est pour cette raison que nous disons qu’il y a des finalités qui correspondent à l’idée de justice et d’autres qui en sont sa négation.
Pour cela même il est hautement problématique de soutenir que « l’ordre de la cité – le juste – peut être ou bien ceci ou bien cela, une chose et son contraire » car si tel est le cas, tout ordre étatique est juste. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle parvient cette forme de pensée. En effet, selon ce discours, « le juste est, et il n’est rien que cela, ce que le souverain définit comme étant juste ». Ce qui revient à dire que « le juste doit être compris comme la forme prise par le principe de souveraineté énoncée universellement. Quant à cet énoncé, il est en lui-même le droit positif. ». Cette position positiviste ne peut pas être comprise si on ne tient pas compte que, pour cette forme de conscience, les valeurs d’ordre universel sont de simples fantasmes de la pensée idéaliste. C’est précisément cette position qui mène Alain Badiou à dire que « l’État est dans son être, indifférent à la justice ». Par conséquent, si la justice en tant que valeur universelle est un non-sens, il est évident que seul le droit positif est sa manifestation effective. De là que « ce qui est juste de ce côté-ci des Pyrénées peut être injuste de ce côté – là ».
Cela étant souligné passons à la thèse selon laquelle la modernité en théorie politique commence avec Le Prince de Machiavel. En effet, l’argumentation des partisans de cette thèse, est de soutenir qu’avec l’auteur du Prince nous n’avons plus affaire à une légitimation d’ordre transcendantale, mais à un discours qui ne tient pas compte que de l’efficacité. Car « le prince bien armé est celui qui réussit ». Ce qui légitime, dès lors, c’est « la capacité de maintenir l’État ou le fonder s’il n’existe pas car, « la prééminence du bien de l’État », est « le but de l’action politique ».
Cela dit, soutenir que les Borgia n’ont pas, alors, fait appel à la légitimation religieuse, c’est tout simplement oublier la position qu’occupait Alexandre VI. Certes, par rapport à l’Italie Alexandre VI n’a pas employé la dimension messianique, c’est-à-dire la promesse de la domination universelle, car les princes italiens de l’époque étaient trop lucides et trop cyniques. Ils savaient très bien, par exemple, que la dimension messianique était le prétexte de la volonté de domination. Car le salut du monde n’était, pour eux, que le manque de l’imposture angélique et qu’au fond des Borgia il n’y avait que haine et mépris absolu. C’est la raison pour laquelle les papes de l’époque ont brandi l’arme du salut avec tous les autres, mais pas avec les potentats de l’Italie.
L’arme de l’excommunication ne fut pas employée par Alexandre VI avec les Médicis, par exemple, mais elle le fut avec l’illuminé de Florence : le Dominicain Jérôme Savonarole. De telle sorte que l’unique arme qu’Alexandre VI a pu employer contre les potentats italiens fut celle de la force. C’est précisément ce que Machiavel va nous montrer en faisant l’apologie dans Le Prince. En effet pour arriver à ses fins, la suprématie des Borgia, Alexandre VI n’a pas lésiné sur les moyens, les crimes, la vente des fonctions ecclésiastiques et la vente des indulgences ainsi que les faveurs à la couronne espagnole, comme la donation du Nouveau Monde et le statut de la pureté de sang du 22 décembre 1495. Cela fait qu’Alexandre VI est resté dans l’histoire de la papauté romaine, riche en horreurs, comme l’homme qui a commis le plus d’abominations. Cela étant souligné, il convient de retenir que du point de vue de la philosophie du logos, la pratique politique n’est pas le résultat du dépassement de la légitimation dite transcendantale, pour ne tenir compte que de l’efficacité dans la construction ou le maintient de l’État. En effet, pour cette philosophie, le politique est produit de la conventionnalité. De sorte que le processus politique est ce mouvement qui a comme point de départ la production de l’individualisme. Ce qui, comme nous l’avons souligné, mène nécessairement au pluralisme, à l’État de droit et au principe de la souveraineté populaire.
Par conséquent l’expérience du Prince de Machiavel, n’est pas un mouvement politique, mais pré-politique. Car de la même manière que l’échange par le biais du troc est une pratique pré-économique, de la même manière la lutte pour le pouvoir, en dehors de la loi du plus grand nombre, est une pratique pré-politique. La grande différence entre ces deux instances étant que le troc n’est pas une pratique immorale, tandis que l’action conquérante du pouvoir, comme celle du Prince de Machiavel, l’est au sens pur du terme.
Cela dit, la raison politique ne se propose pas uniquement la création d’un ordre post-domestique — c’est-à-dire d’un État conditionné par le droit — mais d’un système capable d’assurer l’égalité des chances entre ces membres. Cette perspective éthique est, bien évidemment, contraire à l’esprit antihumaniste qui semble fleurir comme le malheur par temps de désolation.
V – La pesanteur oligarchique
Comme nous l’avons déjà signalé, Aristote nous a fait comprendre que la chose publique – la res-publica – est l’ensemble des richesses et des possibilités de vie en communauté, mis à la disposition de ceux qui contrôlent le pouvoir. Pour éviter toute confusion nous allons laisser de côté l’immobilier et les services publics, pour ne nous occuper, pour le moment, que des budgets publics. Nous avons vu plus haut que cet ensemble de richesses est constitué par la contribution sociale et qu’elle est mise à la disposition de ceux qui contrôlent le pouvoir. Plus précisément par ceux qui ont la légitimité du plus grand nombre.
Nous avons aussi souligné le fait qu’en ce qui concerne la chose publique, la propriété de tous, le phénomène de l’appropriation – la patrimonialisation dit-on actuellement – ne peut pas se poser au sein de l’horizon du politique. L’appropriation de la chose publique est une dimension propre au monde pré-politique. Plus précisément dans ces ordres où ceux qui contrôlent le pouvoir se considèrent comme les pères de la communauté. Ce pouvoir patriarcal ne peut pas exister au sein d’un ordre conditionné par le principe de l’égalité. C’est la raison pour laquelle l’appropriation de la chose publique au sein du politique est la manifestation du mal social, de la corruption. Le problème essentiel qui se pose ainsi au sein du monde politique – donc de celui où la moralité tend à s’objectiver dans les institutions – est celui du monopole de la chose publique. Ce qui donne l’ordre oligarchique. Lequel, comme nous l’avons vu, est conditionné par le principe de la permanence de l’élite administrative de gauche ou de droite , ce sont d’abord et avant tout des énarques
Mais l’élite administrative, de par son caractère permanent, tend secréter l’élite politique. De telle sorte que la loi de la circulation des élites, propre au monde individualisé, se transforme, essentiellement, au sein du système oligarchique en simple roulement de l’élite du pouvoir à l’intérieur de cet espace.
Ainsi, l’alternance politique est le résultat des tendances contenues dans l’élite administrative. Par conséquent dans ce système, d’une manière générale, l’élite politique qui parvient au pouvoir sort du sein de l’élite administrative, tandis que l’élite politique perdante réoccupe les postes qu’elle avait abandonnés à l’intérieur de l’élite administrative. De sorte que, pour l’essentiel, les élites politiques sont une émanation de l’élite administrative.
Le cas de l’énarchie en France est un exemple particulièrement significatif de la logique d’un ordre de permanents au sein de l’élite administrative. Nous constatons, en effet, que les élites politiques qui contrôlent le pouvoir – soit de droite soit de gauche – sont issues de cette élite administrative. De sorte que dans l’alternance politique nous avons affaire, pour l’essentiel, à des énarques de droite ou des énarques de gauche. L’expérience de l’effondrement du socialisme réel, nous montre la pertinence de cette loi sociologique. En effet, cet effondrement va provoquer la perte du pouvoir politique du parti communiste, car après la rupture la nomenklatura reste en place. Dans certains cas elle parvient même à contrôler le pouvoir. C’est le cas en particulier de la Russie. Mais dans les pays où les communistes perdent le pouvoir politique, comme en Pologne ou en Hongrie, par exemple, nous constatons qu’après une période de transition les anciens communistes vont revenir au pouvoir par le biais de l’élite administrative.
De sorte que la période de transition, qui correspond en Pologne avec le pouvoir de Solidarité, est un moment historique de courte durée, pendant lequel la nomenklatura non seulement se divisa – en tendance de droite et de gauche – mais s’appropria aussi l’essentiel de la chose publique. Par conséquent, l’essentiel des biens immeubles contrôlés par l’État communiste. Cela fait que lorsque les anciens communistes vont revenir au pouvoir, par le biais du suffrage universel, ils seront déjà une classe ploutocratique. Certes, nous constatons pendant cette période de transition des expériences très diverses, où le trait commun est la transformation de l’ancienne élite administrative communiste en classe ploutocratique. Cet enrichissement étant le résultat d’un pillage, en général pas très légal, de l’ensemble des richesses contrôlé par un ordre où la presque totalité des biens immeubles étaient dans le domaine de la chose publique. Nous assistons ainsi, dans ces pays, à une extraordinaire concentration des richesses dans les mains d’une petite minorité qui, ironie de cette histoire, considérait hier encore que la propriété privée des moyens de production était la manifestation du mal dans le monde. Cela dit, revenons sur le problème des structures oligarchiques. Cette fois-ci sur celles qui correspondent aux pays dits sous-développés ou, en tout cas, en voie de paupérisation. Pour ce qui est de ces sociétés, nous constatons que plus un pays s’appauvrit, plus les inégalités sociales augmentent. Ce phénomène est non seulement le résultat de la réduction de sa capacité productive, mais aussi de la surcharge du poids de la fonction publique.
Car ladite loi des avantages acquis fait que cette charge tend à augmenter et cela malgré le blocage de l’embauche dans ce secteur. Ce qui tend à provoquer le blocage de la mobilité verticale. Donc le vieillissement du personnel dans la fonction publique et le chômage dans les jeunes générations. Dans le cas des pays dits sous-développés l’appauvrissement aggravé par la surcharge du poids de la fonction publique, ne peut que conduire au dysfonctionnement de ces systèmes institutionnels. Ce qui tend à provoquer l’apparition d’états d’exception, pouvant conduire à l’anarchie et à la guerre civile. Donc au dépassement des principes de base de l’État de Droit. Du point de vue strictement théorique l’état d’exception tend à sécréter la dictature. Par conséquent l’apparition d’un système autoritaire capable d’assainir l’ordre institutionnel, soit par le renversement de la minorité qui vit des ressources publiques, pour la remplacer par une nouvelle – pour cause, moins affamée de privilèges et de sinécures – soit par la structuration d’un ordre institutionnel plus conforme à la logique de la modernité. Il convient toute fois de remarquer que la dictature – au sens que les romains ont donné à ce terme – est la manifestation d’un état d’exception. Elle correspond à la logique de l’article 16 de la constitution française de 1958. Elle est conditionnée par la convention et ne propose pas le dépassement effectif de l’horizon de l’État de droit. Bien évidemment, nous constatons que dans les pays du Tiers-Monde ce phénomène tend à prendre la forme de la dictature dite tropicale. Plus précisément de la constitution d’un ordre autocratique, où la sécurité de la classe ou de l’ethnie qui contrôle le pouvoir, est intimement liée à la suprématie du despote. Ce processus, comme on peut le comprendre, est en lui-même le résultat de la régression à la logique pré-politique. Donc à la constitution d’un ordre où les règles de l’existence en communauté sont destinées à maintenir et sauvegarder les intérêts et la volonté de puissance de ceux qui contrôlent le pouvoir. Cela étant souligné, revenons au problème de la pesanteur des systèmes oligarchiques. Nous constatons, d’une manière générale, que ces systèmes s’adaptent difficilement aux changements de conjoncture. Dans le monde de l’accumulation élargie, les cycles économiques font partie de la réalité.
Ceci veut dire plus prosaïquement qu’il ne peut pas y avoir de croissance sans récession. La croissance à l’infini est, comme on le sait, un voeu pieux de la conscience dite technocratique. En tout état de cause, nous ne pouvons pas sortir du rapport des contraires, et le contraire de la croissance est précisément la récession.
Puis, à côté des cycles économiques il y a les crises elles-mêmes. Lesquelles ne sont pas, comme on tend à le croire, d’ordre purement structurel, comme nous l’a appris la théorie marxiste. En effet, les crises globales ne nous semblent pas être le résultat du fait que le système de la reproduction élargie soit en contradiction avec les forces productives, comme l’a soutenu Marx. Car si tel
avait été le cas par exemple pour la crise des années Trente, il est clair que la croissance économique n’aurait pas pu se produire par delà cette crise. Pour ce qui est de la crise actuelle – dite du capitalisme keynésien – nous constatons que cette crise a épargné d’une manière générale l’économie des États -Unis. Par contre, nous observons que cette crise a été particulièrement sévère pour les pays du tiers-monde. En tout état de cause, nous notons que toutes les régions économiques n’ont pas été touchées de la même manière.
Le concept de la crise structurelle nous paraît ainsi particulièrement inadéquat pour expliquer ce dysfonctionnement global que nous remarquons depuis le milieu des années soixante -dix. On peut, dès lors, se poser la question de savoir si la théorie des cycles longs de Kondratief est susceptible d’expliquer ce dysfonctionnement. Par rapport à cette thèse, nous pouvons constater que malgré tous les efforts de certains économistes, il est impossible de trouver ces cycles dans la réalité historique. En effet ces cycles longs des civilisations méso-américaines ne nous semblent pas fonctionner dans le monde moderne.
Cela dit, la non-effectivité de ces thèses, n’implique pas une négation de réalité des crises économiques. Particulièrement des cycles économiques tel que nous les observons dans la réalité de l’économie classique. Il en est de même en ce qui concerne les crises globales comme celles des années Trente et la crise que nous connaissons actuellement.
En ce qui concerne les cycles économiques de l’époque classique, il est important de constater, comme l’ont fait Sismondi et Marx, qu’il s’agissait de crises de surproduction ou ce qui veut dire la même chose, d’insuffisance de la demande. Cette inélasticité de la demande était alors la conséquence de l’or comme étalon.
C’est la raison pour laquelle Adam Smith, dans son œuvre principale, considérait que le passage au règne du papier monnaie était une solution rationnelle. L’expérience dite keynésienne va montrer, pendant les célèbres Trente Glorieuses, la rationalité de cette thèse. Ceci est particulièrement vrai si on considère que la relance de la consommation doit se faire surtout d’une manière qualitative, par le biais du crédit et non pas par la seule émission monétaire. Cette thèse de Smith nous montre jusqu’à quel point la théorie économique classique est concernée par le problème de la régulation des cycles économiques. Mais ce qui nous intéresse ici c’est surtout le problème de la régulation du poids de l’État, de ce que Smith appelle le secteur improductif. Il est important de remarquer, à ce propos, qu’Adam Smith ne réfléchit pas cette régulation en termes éthiques, de justice sociale, mais d’une manière objective. C’est justement la thèse de l’équilibre budgétaire. Plus précisément la thèse selon laquelle la capacité productive du social ne doit pas être écrasée pas le sur-poids des improductifs. Pour cette raison il faut, selon Smith, que les dépenses (de fonctionnement) soient conditionnées par les recettes. De telle sorte que lorsqu’il y a abondance des recettes —donc expansion économique— l’État peut créer des emplois, tandis que dans le cas contraire il est obligé de réduire ces effectifs. Le principe de l’équilibre budgétaire ne peut donc être efficace que si les emplois publics sont temporaires à durée déterminée. Par conséquent la loi de l’équilibre budgétaire est pour Smith la seule règle capable de rendre inefficace, ce qu’il appelle « la maxime qui paraît avoir été, dans tous les âges, celle des maîtres de l’espèce humaine » : « tout pour nous et rien pour les autres » Cette digression sur les cycles économiques nous montre jusqu’à quel point le système oligarchique est un ordre particulièrement rigide et supporte mal les changements conjoncturels. Ceci s’avère être particulièrement vrai dans le cas des crises globales. La récession économique tend à accentuer le caractère dual de ces formations sociales. Ce qui ne peut que provoquer des bouleversements sociaux. Car, comme l’a bien signalé Tocqueville, une «haine immortelle et de plus en plus allumée, anime les peuples démocratiques contre les moindres privilèges ». Bien évidemment nous devons comprendre le terme de démocratique, employé ici par Tocqueville, comme équivalent à l’individualisme.
Quoi qu’il en soit, on peut constater aisément que les structures oligarchiques sont plus conformes aux sociétés qui ne connaissent pas un niveau élevé d’individualisme qu’à celles qui sont dans la situation contraire.
En effet, les mécanismes de régulation sociologique des structures proprement démocratiques, rendent ce système plus conforme aux aléas des crises économiques. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des crises globales, car elles sont plus longues et plus fortes que les crises liées aux cycles économiques.
En tout état de cause, un système est d’autant plus viable qu’il est capable de s’auto -réguler lorsque des chocs négatifs se produisent. De là, la nécessité de mécanismes d’ajustement et par conséquent le danger des rigidités structurelles. Le fait est que le principe de l’alternance pure est justement ce mécanisme de régulation, non seulement en vue des chocs négatifs, mais aussi en vue d’assurer un minimum de justice sociale, et ceci pour différentes raisons. Premièrement en empêchant le monopole de la chose publique par une minorité quelconque. Deuxièmement, en évitant la formation d’une caste de seigneurs de la chose publique, ce qui est le destin de toute nomenclature. Enfin troisièmement, en entravant toute tendance à l’augmentation des inégalités sociales lors des crises économiques.
XVI – La justice distributive
Comme nous venons de le signaler la démocratie n’implique pas l’État de justice. La démocratie n’est pas en elle-même l’ordre conditionné par la raison axiologique. Elle est, selon cette logique, l’ordre conditionné par le droit d’une manière accomplissante. Et ce n’est qu’à partir de ces conditions que cet ordre donne la possibilité de création, de développement de l’État de justice.
Par conséquent, l’État de droit s’accomplit dans l’ordre démocratique et l’ordre démocratique dans l’État de justice. Car comme nous l’avons souligné l’État de droit peut se manifester soit comme ordre oligarchique, soit comme ordre démocratique. Il convient, à propos de cette division, de retenir que l’ordre oligarchique est celui où la logique de la juridicité n’est pas encore accomplie, car au sein de ce système « l’isonomia » n’existe pas encore. Ce phénomène est le résultat du fait que dans ce système ce sont toujours les mêmes qui sont au pouvoir. Par conséquent, le résultat du fait que l’élite administrative est composée de permanents. Dès lors l’élite administrative secrète l’élite politique.
En effet l’élite politique est une émanation de l’élite administrative, lorsque celle-ci est composée de permanents. De sorte que l’alternance politique se manifeste essentiellement comme une alternance politique au sein de l’élite administrative elle-même. D’ailleurs au sein de ce système les partis politiques sont une émanation de l’élite administrative. Ils sont en quelque sorte les instruments de pêche aux voix de cette élite.
Car il convient de garder à l’esprit que dans l’ordre oligarchique la grande majorité est là pour légitimer, par son suffrage, ceux qui accèdent au pouvoir. Par conséquent dans la logique de cet ordre, ceux qui se présentent au suffrage universel n’ont pas grand chose à proposer, si ce n’est que d’assurer la sécurité et le règne des illusions. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dans un tel ordre la démagogie – le discours des promesses sans lendemain – tend à jouer un rôle aussi important. Comme nous l’avons souligné, l’ordre démocratique est celui dans lequel le principe de l’alternance pure fonctionne d’une manière efficace. En tout état de cause nous avons affaire avec la démocratie à un ordre dans lequel l’élite administrative n’est pas composée de permanents. En effet, dans le système démocratique l’élite administrative est une émanation de l’élite politique. Ce qui veut dire, plus concrètement, qu’avec le changement politique nous assistons à un changement de l’ensemble de l’élite du pouvoir ce qui est le cas aux Etats-Unis. C’est précisément ce changement que nous appelons le principe de l’alternance pure. Le régime démocratique joue d’un côté un rôle régulateur dans la mesure où il permet la réalisation effective du principe de l’alternance, ce qui est en quelque sorte la raison d’être de l’État de droit, et de l’autre côté, cet ordre assure le principe de la justice sociale à deux niveaux différents. Premièrement, en empêchant le monopole de la chose publique par une quelconque minorité. Deuxièmement en permettant la réalisation pleine et entière du principe de l’égalité devant le droit.
En ce qui concerne le phénomène de la régulation, il convient de rappeler que l’État de droit surgit comme conséquence du pluralisme. Sa fonction essentielle est ainsi, au niveau politique, de réguler le principe de l’alternance, permettant ainsi l’accès au pouvoir tantôt à une tendance, tantôt à une autre. Or cette alternance ne peut être effective que lorsqu’elle concerne l’ensemble dl’espace du pouvoir. Ce n’est donc pas un hasard si toute élite politique tend à produire sa propre élite administrative. Car ceux qui arrivent au pouvoir ont besoin non seulement de satisfaire leur propre clientèle, mais aussi de s’assurer la loyauté de ceux qui réalisent pratiquement leur perspective sociale. Cela dit la véritable dimension éthique de la démocratie se manifeste concrètement d’une part lorsqu’elle empêche le monopole de la chose publique par une infime minorité – donc la formation d’une caste de seigneurs de la chose publique – et de l’autre côté, lorsqu’elle permet la réalisation pleine et entière du principe de l’égalité devant le droit, plus précisément de l’« isonomia » et de l’«isocratia».
Pour ce qui est du principe de l’égalité, il convient de souligner que nous avons affaire ici à un processus que la raison pratique réalise à travers la convention, pour l’objectiver dans un ordonnancement institutionnel. Ce mouvement commence avec la prise de conscience du fait que l’universalité est le fondement, la substance, de toute singularité, comme de toute particularité.
Pour cette raison nous disons que tout être humain est avant tout un Homme. Le vocable d’humanisme renvoie précisément à cette dimension. Ce qui faisait dire par exemple à Montesquieu : “ Je suis tout d’abord un Homme, puis un français ”. Ceci peut nous sembler actuellement une lapalissade, mais avait encore à l’époque de la formation de l’État de Droit une importance fondamentale. Car c’est ce principe de l’égalité générique, au sein d’un monde des dissemblables, qui va permettre la réalisation de la logique de l’égalité, donc de l’égalité devant la loi et de l’égalité devant le pouvoir. Ainsi le principe de l’égalité devant le droit va être mis en marche pas l’État de droit. Pour ce faire cet État met fin aux législations particulières et impose le droit commun, la « common law ». Mais ce processus de l’égalité devant le droit ne s’accomplit pas dans la forme oligarchique. En effet dans cet ordre, comme nous l’avons souligné il n’y a pas d’égalité devant le droit du travail et il n’y a pas non plus d’égalité devant le pouvoir. En ce qui concerne la logique de cet ordre, nous avons affaire, en réalité, à une structure duale. Du point de vue économique cette dualité se manifeste par la différence entre le secteur protégé et le secteur non-protégé. Puis du point de vue politique nous constatons la différence, malgré le suffrage universel, entre les citoyens actifs et les citoyens inactifs. Plus précisément entre les vrais sujets du pouvoir et ceux dont le rôle est de légitimer ceux qui accèdent au pouvoir. Il convient de noter, en ce qui concerne cette structure oligarchique, qu’elle npeut que garantir les droits fondamentaux aux membres de la communauté sociale. En effet des droits comme la liberté de réunion, de circulation, de parole et de croyance font partie de la raison d’être de l’État de droit. Car cet État est un ordre fondé sur le principe de l’individualisme et donc de la liberté. En d’autres termes la sécurité juridique qui est la condition «sine qua non» de l’État de droit, implique avant tout la protection contre l’arbitraire du pouvoir et, par conséquent, le libéralisme débridé. Pour cette raison nous disons que l’État de droit présuppose le principe de la liberté et la loi du plus grand nombre. De sorte qu’au sens strict du terme l’État de droit est cette forme du pouvoir qui est limitée par la juridicité. Ainsi l’ordre oligarchique est cette structure du pouvoir, dont la fonction principale est de créer les conditions de la liberté en vue du développement du principe de l’égalité. Mais ce n’est que dans la démocratie que le principe de l’égalité peut s’accomplir. En effet c’est au sein de cet ordre que l’alternance pure et l’égalité devant le droit et le pouvoir se réalisent pleinement. Par conséquent ce n’est qu’à partir de cet ordre que les lois et les institutions existent en vue de promouvoir et garantir l’intérêt général et non pas l’intérêt de ceux qui gouvernent. Ce n’est dès lors qu’à partir de la logique démocratique que la justice distributive peut s’objectiver pleinement. Car cette justice se rapporte à la distribution de la chose publique selon des critères d’ordre axiologique. En effet l’apparition de l’État de droit implique le dépassement de l’État patrimonial. Par conséquent la prise de conscience du fait que la chose publique est la propriété de tous et doit permettre la réalisation de la fin éthique de l’État.
De ce point de vue l’État se doit de contribuer, par son action distributive, au nivellement du social et non pas à l’augmentation des inégalités. Les dépenses publiques sont au centre de cette problématique, car l’État dépense essentiellement soit pour son fonctionnement, soit pour aider ceux qui sont dans le besoin. C’est ainsi qu’à l’époque moderne nous avons affaire au budget de fonctionnement et à celui de la sécurité sociale.
Mais ces dépenses doivent se faire, selon la logique de la justice distributive, suivant des critères d’ordre axiologique. Plus précisément pour ce qui est des dépenses de fonctionnement le critère éthique n’est autre que celui de la capacité de chacun de contribuer au bien-être général. Ceci veut dire par conséquent que les fonctions publiques ne peuvent pas, éthiquement parlant, être attribuées selon des critères comme ceux de la famille, de l’amitié ou tout autre de type partisan. À ce propos on parlait dans le temps de mérite, plus précisément de coïncidence par rapport aux valeurs dominantes et de dévouement envers ceux qui contrôlent le pouvoir. Un tel critère, comme on peut le comprendre aisément, ne correspond pas à la logique d’un monde égalitaire; plus précisément à un gouvernement d’hommes libres sur des hommes libres.
Pour ce qui est des dépenses sociales, le critère éthique n’est autre que celui des besoins. L’État se doit, par conséquent, d’aider ceux qui sont dans le besoin et non pas ceux qui n’ont pas besoin. Car, comme nous venons de le souligner le but éthique de l’État est celui de créer, comme le disait déjà Aristote, une communauté d’égaux en vue de bien vivre. Ainsi les aides sociales à ceux qui sont dans le besoin permettent de créer les conditions du nivellement social, en permettant à ces derniers sans ressources, de développer leurs propres capacités. Cela fait, par conséquent, que les aides sociales doivent jouer un rôle niveleur de première importance, permettant à tous d’œuvrer dans la dignité mais pas de vivre dans une assistance indigne. Car c’est par ce biais que l’État réalise sa mission sociale fondamentale : le règne du Bien dans son monde.
XVII – L’État de Justice et le Règne du Bien
Comme nous venons de le voir, la réalisation de la substance éthique de l’humain est un processus qui se manifeste dans et par la conventionnalité. Mais ce mouvement ne peut pas se mettre en marche s’il n’y a pas une prise de conscience de la nécessité de création d’un monde fondé sur le principe de l’autonomie. Plus précisément du fait que tout être humain est capable d’assumer sa propre existence et être, par là même, cause de lui-même. En d’autres termes dans ce mouvement d’auto -réalisation de l’humain en lui-même, nous avons affaire à un processus dans lequel la dimension générique de l’humain tend à se présenter comme le fondement de son être, de ce qu’elle est du point de vue théorique, comme du point de vue pratique. En effet au niveau purement logique, l’universel qualifie le particulier et le singulier. Nous disons ainsi que toute singularité est humaine de la même façon que l’est toute particularité. Mais pour ce qui est de la singularité, nous devons tenir compte du fait que l’universalité est sa substance, tandis que sa particularité en est une détermination plus ou moins essentielle. Nous pouvons dire par conséquent que Socrate est avant tout un être humain et qu’il est grec d’une manière plus ou moins essentielle. Par conséquent l’universalité qualifie la singularité, en première instance, dans sa dimension ontologique. La reconnaissance de cette détermination est justement ce que nous appelons l’humanisme. Laquelle part du fait que le fondement de l’humain est le même pour tous et qu’il n’y a pas un humain qui soit, ontologiquement, plus humain qu’un autre. C’est justement la prise de conscience de cette dimension essentielle qui va conduire à la reconnaissance d’un côté du droit au respect de tout un chacun, et de l’autre, du fondement égalitaire de tous.
Par conséquent c’est parce que nous sommes tous humains, au même degré, que nous devons le respect à tout être humain, quelle que soit sa manifestation phénoménale : masculin ou féminin, jeune ou vieux, blanc ou noir, et ainsi de suite. Mais à ce principe de l’égalité ontologique s’oppose le principe de l’inégalité éthique. C’est ainsi que nous disons qu’il y a des êtres humains qui ont une dimension éthique fondamentale que nous qualifions de bonté, d’équité et de justice, tandis qu’il y en a d’autres qui sont la manifestation contraire de ces valeurs. Pour cette raison nous disons que les premiers sont très humains, tandis que nous les considérons plutôt les deuxièmes comme inhumains. Cela fait que d’une manière spontanée les êtres humains tendent à avoir le plus haut respect aux premiers et les plus grands mépris de ceux qui sont la manifestation du mal en tant que tel : la misanthropie, la criminalité et le génocide. Bien évidemment c’est cette dernière qui est la plus haute manifestation du Mal, car elle va au-delà de la haine de l’altérité ou de la négation effective de tel ou tel humain, pour s’objectiver en tant que pure universalité du crime.
Cela dit, la réalisation de la substance de l’humain n’implique pas uniquement l’accomplissement de la logique contenue dans son fondement générique, mais aussi de celle de son éthicité. Nous avons vu, en effet, que le développement du logos de l’humain peut s’exprimer comme ce processus qui va de la prise de conscience du principe d’égalité contenu dans sa dimension générique, à la réalisation du règne de la communauté d’égaux. Mais cette communauté d’égaux n’est pas uniquement particulière, elle doit avoir aussi, pour être pleinement accomplie, une dimension universelle : celle de la communauté des nations. Cela dit l’accomplissement de l’humanisme ne peut se produire qu’au sein de l’État de justice. Et c’est à partir de cet ordre du social que peut rayonner nécessairement l’universalité des valeurs. Donc la possibilité de la réalisation de l’égalité des chances au niveau du social et des nations entre elles. Car la singularité est non seulement un animal politique- destiné à réaliser ses potentialités dans la cité -, mais aussi un être cosmopolite. Plus précisément un être capable de se réaliser dans l’universalité des rapports au sein de la communauté des nations. En effet l’humain est par définition et dans son effectivité aussi bien une partie du social qu’une partie de la communauté universelle, de la réalité donnée du genre. Et c’est justement en tant que partie d’un tout que la singularité est concernée par le bien être de ce tout auquel elle appartient. La singularité n’est pas, dès lors, uniquement concernée par la vie de sa communauté immédiate, mais aussi par celle de toute l’humanité.
Le rapport que nous constatons ici, au niveau de l’engagement générique est la conséquence du fait qu’il n’y a pas d’existence sans coexistence. Ceci est vrai aussi bien pour les singularités que pour les communautés particulières. Au niveau des singularités nous savons très bien, comme le disait Aristote, que l’être-humain est cet animal qui n’est pas destiné à vivre dans la solitude. Nous avons besoin de l’altérité, aussi bien dans ce qui est essentiel à la vie, que dans ce qui l’est moins. Pour cette raison nous disons que la fraternité est un bien, comme le sont aussi les rencontres fortuites mais décidées par un Grand Architecte.
Pour ce qui est des communautés particulières, nous savons que les nations ne sont pas auto -suffisantes, qu’elles sont besoin les unes des autres. Ce qui crée des rapports de dépendance malgré le degré nécessaire d’autonomie et d’indépendance des nations. Il convient de rappeler à ce niveau que la conscience de la nécessaire normativisation des liens entre les nations, va surgir avec la consolidation du règne du droit. Ce n’est donc pas un hasard si cette prise de conscience va se produire avec Kant. Par conséquent l’objectivation du droit entre les nations, en vue de créer une véritable communauté de nations, n’a pu apparaître qu’avec le dépassement du droit divin de conquête. Donc avec le dépassement du système de valeurs fondant le droit de destruction et de domination absolue de la différence.
Car comme disait Isaïas : «les peuples qui ne voudront pas te servir devront être exterminés» (60, 12). En tout état de cause, la création d’un ordre international capable d’éviter les injustices réciproques ne peut pas être fondée sur la logique de la parole exprimée par Luc dans le Nouveau Testament : “ Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu m’avoir pour roi, amenez-les et massacrez-les, en ma présence ” (19,27). Mais sur la conception exprimée de puis longtemps par le Cercle premier de notre Ordre.
Cela étant souligné, il est important de comprendre que la singularité se réalisant dans l’universalité des rapports est concernée nécessairement par l’ordre de son monde. L’avènement du «Grand village», dont parlé déjà Ma Luhan, fait en effet que l’ailleurs n’est plus l’absolument lointain. Nous sommes, à cause des médias modernes, constamment en contact avec les événements du reste du monde. La douleur comme la joie de ceux dont nous avons à peine entendu parler, font partie de notre atmosphère.
Cette ouverture du monde fait que la singularité pensante se sent de plus en plus concernée par l’ordre de son univers. De là, la nécessité d’un engagement se manifestant au niveau de l’universalité elle-même. En d’autres termes au sein d’un monde se manifestant dans l’universalité des rapports, l’engagement rationnel se présente comme étant celui qui se réalise avec les valeurs d’ordre universel défendues par notre Ordre. Par conséquent le discours selon lequel dans le juste comme dans l’injuste, ma patrie a toujours raison, est un discours qui se dévoile immédiatement comme anti-axiologique.
Rappelons à ce propos qu’Albert Camus disait en parlant de la guerre d’Algérie : entre la Justice et ma mère, je choisis ma mère. Ce qui veut dire qu’entre la dénonciation de l’injustice des troupes d’occupation et le sentiment national, Monsieur Camus a pris la lourde décision de se ranger du côté de ce dernier. Or comme on peut aisément le comprendre, en faisant un tel choix, Monsieur Camus n’a pas honoré son rôle de Maçon. Car le Maçon est, par définition, celui qui réfléchit son monde par rapport aux valeurs d’ordre universel. Ceci d’autant plus que nous avons affaire, en l’occurrence, au concept de la justice.
Par rapport à cette problématique, – la prise en compte de l’idée de la justice, dans le rapport entre les êtres humains –, il est évident que le règne d’un ordre social capable de le promouvoir, ne peut que rendre son objectivation plus urgente, comme une tâche infinie à accomplir. Cet ordre comme nous l’avons vu, n’est autre que l’État de justice. Car cet ordonnancement ce donne comme but, de son activité principale, la lutte pour la justice.
Nous avons souligné à ce propos que l’État de justice est celui de l’ordre démocratique qui réalise la justice distributive. Par conséquent c’est cet État qui se donne comme but la création d’une communauté d’égaux. Plus précisément de l’égalité de chances. Pour cela même l’essentiel de la chose publique n’est pas destiné aux dépenses de fonctionnement, mais aux dépenses sociales.
Cela dit cet ordre ne peut pas s’accomplir sans la prise de conscience du fait que la raison peut guider l’Histoire et que la raison doit conditionner l’ordre du monde. Car, comme nous l’avons souligné, dans ce processus l’être réalisera sa propre substance éthique, laquelle est en elle-même et par elle-même une substance rationnelle. Cette prise de conscience mène, en tout cas, à cette nécessité de l’assomption, de la part de la singularité consciente, de sa dimension éthique fondamentale. Donc du seul engagement par rapport aux valeurs d’ordre universel. Car comme nous l’a fait comprendre Aristote, le sujet de la pensée est celui qui ne fait pas confiance aux hommes – aux êtres dits providentiels et messianiques – mais à la raison.
Ainsi la singularité engagée par rapport aux valeurs d’ordre universel, est une manifestation consubstantielle du règne de la raison. Nous avons alors affaire à un engagement qui n’a rien à voir avec le militantisme partisan. Car la pensée est un jugement et on ne peut pas, par définition, être à la fois juge et partie. Les intellectuels dits organiques sont précisément ceux dont le rôle est de faire l’apologie du mouvement ou du courant auquel ils appartiennent ; tout en ignorant que la réflexion fondamentale est essentiellement axiologique. Pour cette raison nous disons que la philosophie est essentiellement axiosophie : savoir des axes essentiels qui conditionnent le logos du monde. Le rôle de la conscience axiologique, au sein du règne de la moralité objective, peut être compris aisément si on tient compte du fait que la loi de la majorité légitime ceux qui accèdent au pouvoir et non pas ce qu’ils font avec ce pouvoir. Cela veut dire plus précisément que la loi du plus grand nombre participe à la production de la justice, mais n’est pas cause de justice.
Par conséquent par delà la loi de la majorité, il y a celle des valeurs d’ordre universel. Car au-delà de la légitimité normative se manifeste la légitimité axiologique, donc l’instance de légitimation en dernière instance : celle du tribunal de la raison universelle.
Ainsi, l’engagement axiologique des intellectuels est la condition même de l’accomplissement de l’État de justice. En effet le règne du Bien dans le monde ne peut pas se produire sans l’action de la conscience axiologique qui se donne comme but de son action principale la lutte pour la justice au niveau universel. Par conséquent aussi bien de la justice concrète au niveau national qu’au niveau universel.
Le règne du Bien, au niveau particulier, comme au niveau universel, se présente ainsi comme l’accomplissement de l’En-soi éthique dans le monde. Ce que l’être humain expose à travers la mise en pratique de la raison, n’est autre chose – comme nous l’avons souligné tout au long de cette réflexion – que le contenu axiologique de sa propre substance. Mais il s’agit de bien comprendre que ce processus d’accomplissement n’est pas seulement un mouvement de production normative. En effet l’activité axiologique est indissociable de celle se rapportant à la réflexion dans sa dimension universelle.
En réalité la réflexion axiologique est le point de départ, car la raison pratique est une manifestation de la raison théorique. Pour cela même il a souvent été signalé qu’il ne peut pas y avoir action rationnelle sans théorie rationnelle. De plus il convient de tenir présent à l’esprit que la singularité est le sujet de la pensée. Ce qui veut dire concrètement que la puissance contenue dans l’En-soi éthique de l’humain ne peut manifester la logique de son contenu que dans et par la pensée. Plus précisément par la pensée pleinement consciente de la nécessité d’un engagement sans faille par rapport aux valeurs d’ordre universel.
C’est seulement ainsi que la pensée axiosophique – du savoir du logos de l’humain – pourra réaliser son oeuvre essentielle qui est d’un côté, la réflexion sur le contenu éthique de la substance de l’humain, et de l’autre côté, le jugement des systèmes de valeurs qui ont conditionné et qui conditionnent l’ordre du monde. En ce qui concerne cette dernière dimension, nous devons tenir compte du fait que la pensée universelle n’est pas simple réflexion, mais qu’elle est aussi jugement du monde.
À ce propos Hegel avait déjà signalé que l’histoire du monde est jugement du monde.
Nous devons toutefois tenir compte du fait que ce jugement est en tant que tel une simple puissance et qu’il ne peut devenir acte pur que lorsque l’historicité – les événements du monde – est réfléchie à partir des valeurs d’ordre universel. Par conséquent du point de vue axiologique il ne s’agit pas « d’oublier ce qui fâche et les souvenirs cruels qui divisent », mais plutôt de comprendre le pourquoi des horreurs pour arriver à la conciliation de l’humanité avec elle-même et préparer le règne de l’Amour. Pour ce qui est de la communauté sociale, il est important d’avoir présent à l’esprit que la communauté juridique est la condition même de son accomplissement, car elle permet la réalisation du pluralisme social. En effet dans un monde se réalisant dans l’universalité des rapports, il est dans l’ordre des choses que le cosmopolitisme soit une dimension effective au sein même de toute société particulière. Mais la coexistence de la diversité dans l’égalité, ne peut se réaliser pleinement qu’à l’intérieur d’une communauté juridique. Donc dans cet horizon qui se situe par delà la communauté raciale.
Par conséquent, le pluralisme social ne peut exister dans la plénitude de son être qu’au sein d’une communauté juridique. Donc à l’intérieur d’un monde où les différences ethniques, religieuses et culturelles sont rendues indifférentes par le principe de l’égalité numérique. Plus précisément par le fait qu’un vaut un et pas plus d’un? De là que tout citoyen est socialement une entité juridique, pareille à une autre, quelque soit la différence ethnique, religieuse ou culturelle. Dès lors le cosmopolitisme — l’oecuménisme propre à un monde se réalisant dans l’universalité des rapports — trouve sa correspondance, au niveau particulier des réalités nationales dans le pluralisme social. Car il est clair que la logique des communautés raciales ou religieuses n’est pas conforme aux exigences d’un monde où la libre circulation des marchandises, des capitaux, des personnes et des idées sont des dimensions essentielles.
En effet la communauté des nations, se réalisant dans la plénitude de ses capacités, porte en elle-même la nécessité de la substantialisation de la dimension générique de l’humain. Donc de la concrétisation d’une communauté universelle de nations, où la libre circulation des êtres et des choses soit la condition même de son épanouissement vital.
Nous pouvons dès lors soutenir que l’État de justice ne peut pas créer les conditions du règne du Bien au niveau universel, sans l’émergence de la conscience axiologique dans sa plénitude, capable de réaliser son oeuvre de vérité et de justice. Par conséquent non seulement de reconnaître ce qui est mais aussi condamner tous les systèmes de valeurs et d’action qui ont nié l’universalité de l’altérité et produit l’universalité du crime. Car il est clair que sans cette oeuvre fondamentale l’avènement du règne de la communauté universelle des nations ne pourra pas se réaliser et l’être humain ne parviendra pas à accomplir ce qui est de l’ordre de son devoir-être, comme de son pouvoir-être dans le monde. C’est donc à partir des circonstances de la lutte pour l’État de justice que la raison universelle pourra, enfin, rayonner dans toute sa plénitude et illuminer les chemins du monde dans son être, comme dans son devenir, ce devenir est la volonté des Hommes de lumière, dont le rôle essentiel sur cette terre est d’éclaircir l’univers humain à la lumière de l’expérience partagée dans nos espaces sacrés et dans l’Amour de notre Dame du St Esprit qui nous permet de rejeter dans le néant l’horreur de l’infamie de l’exploitation de l’Homme par l’Homme au sein de nos sociétés, de nos organisations économiques, de nos structures religieuses, de notre monde culturelle……
Le Temple est en lui-même l’Esprit de ce que le Dieu d’Amour a voulu et veut faire réaliser par Tous les Hommes, une cité unique où la lumière du vrai Dieu brillera à jamais.
Je dédie ma contribution à Jean du Bois de Croix qui fût mon procureur lors de mon accession au grade Royal du Temple, à lui qui pesta contre le présent travail estimant que la vision de l’Amour n’était pas assez présente, à lui qui trouvera toujours au fond du tunnel noir de l’âme humaine l’étincelle qui lui permettra de dire « Il n’est pas si mauvais.. ». Je t’aime, toi mon F.°., toi qui porte la Croix de tes nouvelles fonctions, toi qui a refusé l’apport des Compagnons du Temple pour laisser la place à tous ceux des loges bleues qui ont du talent comme tu le dis….. Merci à toi de m’avoir permis de ne pas renoncer à un moment de mon initiation Templière où le doute m’habitait, où le vieil Homme me dominait, tu sais être le petit parmi les grands, le mendiant qui attend les miettes, c’est pour cela tu es Grand dans le cœur de tous, et c’est pour cela qu’aujourd’hui tu peux t’asseoir dans le siége de Pierre notre Maître.
Bonne Queste, ne m’oublies pas dans tes prières
Marc de Dieu le Veut, Templier de son état, Serviteur de Dieu
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