
Le pacifisme ne tient guère de place dans l’Antiquité gréco-latine. La guerre paraît alors une activité naturelle à laquelle il faut sans cesse se préparer. Ce point de vue est partagé de tous, y compris des philosophes. C’est ainsi que Socrate, lui-même ancien combattant, s’adressant à ses jeunes disciples, les engage à ne pas négliger l’entraînement physique et sportif, non pas pour les Jeux Olympiques, mais pour la guerre : ‘Vous éviterez ainsi d’être tués bêtement, et surtout d’être faits prisonniers.’
La plupart des grandes personnalités politiques de l’époque sont aussi militaires : Alexandre, Hannibal, Scipion, César… La guerre imprègne tout : les enfants apprennent à lire avec la guerre de Troie, les artistes s’efforcent d’illustrer la passion du combat.
Toute cette culture est balayée par le christianisme. Jésus n’a jamais porté les armes. Il n’est pas mort en soldat, sur le champ de bataille, mais en croix, comme un esclave. Il repousse son ami qui, dans un moment dramatique, veut le défendre par l’épée : ‘Celui qui frappera de l’épée périra par l’épée.’ Saint Paul affirme l’universalité du christianisme et, après lui, Tertullien (3ème siècle) son internationalisme : les Barbares sont nos frères en Christ. Au lieu de chercher à nous débarrasser d’eux, nous devons leur apporter l’Évangile et les accueillir en frères. Nous avons là les bases du pacifisme internationaliste chrétien, qui sera présent dans les esprits pendant mille ans, presque jusqu’à la fin du Moyen Âge. Bien sûr, les chrétiens feront la guerre comme tout le monde, mais leur pacifisme se fera toujours sentir. Les grands théologiens (saint Augustin, saint Thomas d’Aquin) poseront le problème de la ‘guerre juste’, une question que n’aurait pas comprise Alexandre ou César.
Le peuple chrétien n’a aucune sympathie pour les gens de guerre, qu’il regarde comme de mauvais chrétiens tout barbouillés de sang et de péchés. L’Église s’efforce de les rendre présentables en instaurant la chevalerie. Enfin, et c’est le plus important, les chrétiens sont de piètres conquérants, bien qu’ils soient de très bons soldats, bien équipés. L’exemple le plus fort est celui des croisades.
Le but de la croisade n’est pas d’anéantir les musulmans mais de les convertir. Cela est éclatant dans les actes du dernier et du plus fameux des croisés : Louis IX, roi de France. Avant de combattre, il adjure ses adversaires de le rejoindre en Christ. Lors de sa dernière croisade, devant Tunis, il fait plus : il propose au sultan de Tunis de se constituer otage et de rester son prisonnier aussi longtemps qu’il le voudra, pourvu qu’il se convertisse au christianisme. Louis est mort de la peste avant de connaître la réponse.
Au 13ème siècle, un autre peuple, un vrai conquérant celui-là, émerge dans l’histoire : le peuple mongol. En quelques décennies, tandis que les chrétiens sont refoulés par les musulmans, les Mongols s’emparent de la Chine, de tous les royaumes musulmans d’Asie que les chrétiens ont à peine égratignés, de Bagdad, de Damas, d’Alep et de la Russie ! Comment font-ils, eux ? Leur roi, Genghis Khan, nous l’explique simplement : quand une ville me résiste, je tue tout le monde. Je détruis tout et je mets le feu. Après quelques exemples de la sorte, les portes s’ouvrent souvent toutes seules.
De la guerre moderne…
Les croisades sont l’échec d’une civilisation. Les chrétiens vont s’en détourner complètement et remettre à l’honneur les valeurs contre lesquelles ils s’étaient insurgés mille ans auparavant : celles de l’Empire romain.
Nous savons tous qu’à la Renaissance, les chrétiens ont adopté l’architecture, l’art, le droit, la littérature de l’Empire romain, mais surtout sa politique, qui se résume simplement : ‘La volonté du roi est la loi.’ Mieux encore, à la suite de la Réforme, le roi devient souverain en matière de religion, il la façonne même à son gré. Dans ces conditions, il n’a plus de leçons à recevoir de l’Eglise ni de personne, et surtout pas en matière de politique et de guerre. Les rois s’y adonnent avec d’autant plus d’ardeur que, au Moyen Âge, les armements ont fait d’immenses progrès. Les deux principaux concernent l’artillerie et la construction navale.
La fortification de pierre était devenue presque inexpugnable, ce qui rendait les guerres interminables (guerre de Cent Ans). Mais la nouvelle métallurgie fournit la parade, avec le canon de bronze tirant des boulets de fer. Ce canon fait brèche en une après-midi dans une forteresse qu’il fallait parfois assiéger un an ! La guerre en est toute ragaillardie.
La construction navale n’était pas le domaine d’excellence des Anciens. Ils ne se risquaient guère à déplacer une armée par mer. C’est pourquoi les Romains construisaient tant de routes. Mais, au 16ème siècle, les chrétiens disposent d’une arme terrible : le navire, qui peut porter la guerre à l’autre bout du monde. Et sur le voyage, que fait-on ? On tue, on pille, on brûle. Comme les Mongols, qui ont conquis l’Asie en quelques décennies, les chrétiens s’emparent de tous les océans du monde, et des rivages qui vont avec. Et cela peut être prodigieusement payant !
Dès lors, la guerre moderne a cause gagnée, on ne l’arrêtera plus. Elle va croître en puissance, en prestige et en rentabilité jusqu’à nos jours. Le militarisme regagne le terrain qu’il avait perdu au Moyen Âge, la guerre reprend la place qu’elle avait dans l’Antiquité.
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