Le pélerinage au Moyen-Age
Le phénomène du pèlerinage religieux existe de tous temps et dans la plupart des religions, mais cette forme de dévotion populaire s’est particulièrement développée au Moyen Age, essentiellement en lien avec le culte des saints. Deux idées sous-tendent ce culte: d’une part celle de l’efficacité du saint comme intermédiaire entre Dieu et les hommes, d’autre part l’idée que les lieux sont sacralisés par la présence du corps ou d’une relique d’un saint: « les corps des martyrs, écrit Grégoire de Nazianze, ont le même pouvoir que leurs saintes âmes, soit qu’on les touche, soit qu’on les vénère ». Les sanctuaires à reliques se multiplient donc, attirant les pèlerins.
1. Pourquoi part-on ?
1.1 Les motivations sont multiples.
On part en pèlerinage :
- par curiosité intellectuelle ou historique, pour voir les décors de la vie du Christ ou d’un saint.
- pour prier les saints et vénérer leurs reliques.
- pour obtenir une faveur, en particulier une guérison ? pour accomplir un vœu ou remercier d’une grâce
- pour mourir et être enterré ad sanctos. Cette motivation, qu’il faut replacer dans une perspective eschatologique, n’est pas rare, et l’on trouve d’importantes nécropoles auprès de certains centres de pèlerinage.
- par ascèse, pour rechercher le salut dans l’exil et l’errance volontaires, en réponse à l’appel du Christ. C’est à travers les dangers et les fatigues de la route que se réalise l’idéal de purification.
1.2 Mais il existe aussi d’autres formes de pèlerinage :
- la pénitence imposée. A côté de la pénitence volontaire liée au pèlerinage de dévotion, on voit apparaître dès le IXe siècle, sous l’influence irlandaise, le pèlerinage de pénitence imposée et tarifée. Il est utilisé comme peine, même par les tribunaux civils, mais peut, dans ce cas, être racheté.
- les pèlerinages politiques des grands: rois et empereurs donnent un sens politique ou symbolique à leurs pèlerinages et mettent leur pays ou leur dynastie sous la protection d’un saint: Martin pour les Mérovingiens, Denis pour les Capétiens, Michel pour les Valois, les Rois mages pour l’Empire et Jacques pour l’Espagne.
1.3 Deux autres phénomènes sont liés au pèlerinage:
- la croisade : les privilèges juridiques qui y sont attachés sont d’ailleurs identiques à ceux du pèlerin.
- les jubilés et les indulgences : dès le Xle s., on voit se multiplier les indulgences pour des pèlerinages faits dans certaines conditions ou à certaines fêtes. A partir de 1300, les papes accordent régulièrement des jubilés, indulgences de rémission plénière des péchés.
1.4 On distingue donc plusieurs niveaux de spiritualité :
- un niveau populaire marqué par le goût du merveilleux et la recherche de la guérison du corps.
- un niveau plus spirituel, celui des pèlerinages de dévotion qui cherchent le salut de l’âme par l’ascèse personnelle.
2. Où va-t-on ?
2.1 Jérusalem : ce pèlerinage dans les pas et sur le tombeau du Christ est le pèlerinage par excellence. Si, à partir du Vlile s., les pèlerins subissent les tracasseries de l’occupation musulmane, leur passage, qui est source de revenus, n’est jamais totalement interrompu. Ce pèlerinage est caractérisé par sa longueur, I’hostilité de populations non chrétiennes et sa signification eschatologique (rapprochement avec la Jérusalem céleste).
2.2 Rome, qui possède les corps des apôtres Pierre et Paul et de milliers de martyrs. Ce pèlerinage est donc axé sur le culte des reliques. Après un léger déclin à partir de la période carolingienne, il renaît de plus belle avec les jubilés déclarés par les papes dès 1300. Les itinéraires sont variables en plaine, mais se rejoignent pour la traversée des Alpes, qui se fait par deux cols, le Grand?Saint?Bernard et le Mont?Cenis.
2.3 Saint Jacques de Compostelle où le culte et le pèlerinage se développent dès le début de la Reconquista (Xe s.), favorisés par l’action convergente des autorités la~ques espagnoles (qui veillent à la sécurité et à l’état des routes) et des milieux ecclésiastiques (monastères, essentiellement clunisiens, le long de la route).
Il existe quatre itinéraires principaux, jalonnés de sanctuaires et d’hospices:
- Arles, Saint-Guilhem-le-Désert, Toulouse, col du Somport. – Le Puy, Conques, Cahors, Moissac.
- Vézelay, Nevers ou Bourges, Limoges, Périgueux.
- Paris, Orléans, Tours, Poitiers, Saintes, Bordeaux, Dax.
Ces trois dernières routes se rejoignent à Ostabat et retrouvent la première à Puente-la-Reina.
2.4 Les pèlerinages mariaux ne peuvent pas bénéficier, comme les précédents, de reliques corporelles (la foi en l’Assomption date du Ve s.), mais cherchent d’autres reliques (vêtements, ongles, cheveux, lait…) ou vénèrent des statues. Ils se développent surtout à partir du Xlle s., en lien avec l’essor du culte marial, appuyé par les Cisterciens, les Chartreux, etc. Parmi les grands sanctuaires figurent Chartres, Rocamadour, Notre?Dame du Puy.
2.5 Les pèlerinages à Saint Michel, en l’absence de reliques de l’archange, sont souvent nés d’une vision, comme au Mont?Gargan (Italie du Sud) ou au Mont?Saint?Michel, les deux plus célèbres. Le culte à saint Michel connaît un renouveau aux XlVe?XVe siècles, attesté par l’iconographie.
2.6 Il existe d’autres grands pèlerinages, en l’honneur de sainte Marie Madeleine à Vézelay et à Saint?Maximin, saint Benoît à Fleury, saint Martin à Tours, la sainte Larme à Vendôme, saint Nicolas à Bari, les Rois mages à Cologne, etc, ainsi qu’une multitude de pèlerinages locaux.
3. La route et l’arrivée
3.1 Les préparatifs : il faut se procurer de l’argent, mettre en ordre ses affaires, faire son testament, éventuellement trouver des compagnons de route ou bien, plus spirituellement, blanchir sa conscience. Infirmes et malades doivent aussi trouver un moyen de transport.
3.2 Le départ se fait au cours d’une cérémonie de bénédiction du pèlerin, de son costume (grande cape ou pèlerine) et de ses attributs (bâton ou bourdon, besace et calebasse pour la boisson).
3.3 Le pèlerin a un statut juridique particulier: il est protégé dans sa personne (ses agresseurs encourent de lourdes peines) et dans ses biens (garantis par l’Eglise). Il est exempté de tonlieux et de péages.
3.4 Le trajet: tous les moyens de transport sont bons, le plus fréquent restant la marche. Quoi qu’il en soit, I’arrivée et le départ doivent être faits à pied pour marquer l’aspect pénitentiel du pèlerinage. En revanche, les étapes de montagne se font généralement à cheval ou à dos de mulet, certaines abbayes prêtant des montures.
3.5 L’hébergement du pèlerin est un devoir de charité que rendent souvent les particuliers et toujours les monastères. Il existe aussi de nombreux hospices spécialisés, fondations laïques ou ecclésiastiques, où le pèlerin peut dormir une et parfois jusqu’à trois nuits, et où il est soigné voire enterré le cas échéant. Ces hospices ont toujours une chapelle et au moins deux salles, une pour les hommes et une pour les femmes. Des ordres religieux, celui de l’Aubrac ou celui de Saint?Jacques de l’Epée rouge, étaient spécialement consacrés à l’assistance aux pèlerins.
3. 6 L’arrivée au sanctuaire est marquée par:
- des rites pénitentiels (marcher pieds nus) ou symboliques (bain dans un cours d’eau par purification).
- des dévotions : toucher ou baiser le tombeau, veillée de prière dans l’église, « incubation » (il s’agit de dormir dans l’église près des reliques. C’est, semble-t-il, très favorable aux miracles).
- des offrandes : le plus souvent de l’argent ou de la cire pour les cierges. Les offrandes peuvent être représentatives: chaînes, béquilles ou objets en forme du membre guéri.
- I’acquisition d’un insigne (le plus connu étant la coquille de saint Jacques) qui a une triple fonction de souvenir, de témoignage et de protection. Ces insignes se multiplient à partir du XlVe siècle. Dans l’iconographie, on reconnaît la destination des pèlerins à ces signes: palme pour Jérusalem, coquille pour Saint?Jacques, « baisers de paix », etc..
Des guides ont été écrits dès le haut Moyen Age pour indiquer aux pèlerins les routes, les sanctuaires à visiter, les saints à y vénérer, les hospices, les dévotions à faire à l’arrivée. Le plus connu de ces guides est celui du Pèlerin de Saint Jacques de Compostelle, attribué à Aimeri Picaud, Xlle s (éd. moderne: Jeanne Vielliard, Mâcon, 1938).
4. Les abus
Ils ont de tout temps accompagné les pèlerinages. Le plus léger est le laxisme spirituel des « pèlerins touristes », souvent dénoncé par l’Eglise. » Ce n’est pas d’avoir été à Jérusalem, mais d’avoir bien vécu à Jérusalem qui mérite louange « , écrit saint Jérôme.
Mais il y a plus grave. Des « éléments douteux », jongleurs, aventuriers et prostituées, se mêlent aux grands rassemblement de pèlerins, les transformant en foire. Des hérétiques, des voleurs, des mendiants, attirés par le statut privilégiés des pèlerins ou par le bénéfice d’une charité systématique, prennent l’habit de pèlerin. Et l’on trouve même des pèlerins professionnels rétribués.
Quant aux pèlerinages de femmes, ils sont dénoncés comme sources d’abus dangereux pour la vertu, véritables incitations à la débauche et à la prostitution. On craint aussi les dérives des pèlerinages d’enfants.
5. La spiritualité du pèlerinage
Au-delà de tous ces aspects matériels, le pèlerinage est avant tout une démarche spirituelle. Le pèlerin se place dans une attitude intérieure:
- de détachement. Étymologiquement le pèlerin, peregrinus, c’est celui qui voyage au loin. Cette attitude est à rapprocher du départ d’Abraham et de l’Exode des Hébreux vers la Terre promise.
- de perception de la vie terrestre comme un exil loin du Seigneur. Par la foi, les chrétiens sont déjà « concitoyens des saints, membres de la maison de Dieu » (Eph. 3, 19).
- de cheminement vers la Jérusalem céleste qui est la véritable patrie « car nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous sommes à la recherche de la cité future » (Heb. 13, 14). L’Exode est interprété chez les Pères comme figure de ce cheminement du chrétien et de l’Eglise.
Peu à peu, on en viendra à considérer que le pèlerinage est un état d’esprit et qu’il peut donc exister sans la distance géographique : aux XlVe XVe siècles apparaissent les « pèlerinages en esprit », la dévotion aux « chutes » du Christ montant au Calvaire, qui aboutiront au chemin de Croix. A la même époque la littérature développe les « pèlerinages de vie humaine », ouvrages allégoriques traitant du cheminement de l’âme vers la cité de Dieu.
