Lettre des chefs de la croisade aux chrétiens d’Europe
Lettre des chefs de la croisade aux chrétiens d’Europe
Boémond, fils de Robert, Raymond comte de Saint-Gilles, le duc
Godefroy, et
Hugues-le-Grand, aux fidèles catholiques de l’univers entier, la
vie éternelle.
Pour vous faire connaître à tous comment la paix a été conclue entre
nous
et l’Empereur, et comment, à travers la terre des Sarrasins, nous
sommes
parvenus jusqu’ici, nous vous avons adressé cet Envoyé qui
s’empressera
de vous raconter, dans l’ordre des événements, tout ce qui nous est
arrivé.
D’abord il faut dire qu’au milieu du mois de mai,
l’Empereur nous a donné
par serment sa foi et la promesse de sa protection, le tout appuyé par
des
otages, à savoir son neveu et son gendre; promettant en outre de
veiller
à ce qu’aucun des pèlerins du Saint-Sépulcre ne fût à l’avenir
molesté.
Il envoya ensuite l’un de ses premiers officiers dans toute
l’étendue de
ses domaines, et jusqu’à Durazzo, pour porter la défense de blesser
en quoi
que ce soit les intérêts des pèlerins, sous peine d’encourir le
supplice
du gibet. Que pouvait-il faire de plus? Revenons maintenant aux
événements
qui devront combler vos coeurs d’une indicible joie. À la fin du
mois de
mai, nous nous préparâmes à combattre les Turcs, et les vainquîmes,
grâce
à Dieu. Dans cette bataille, ils ne perdirent pas moins de trente mille
hommes. De notre côté, nous eûmes trois mille morts, qui sans aucun
doute
jouissent maintenant des gloires de la vie éternelle. À la suite de
cette
affaire nous avons rassemblé une immense quantité d’or,
d’argent, d’armes
et de vêtements précieux. Par la force de nos armes nous nous sommes
mis
en possession de la grande ville de Nicée. Au-delà de cette cité, dans
une
marche de dix jours, nous avons fait la conquête de plusieurs villes et
châteaux. Ensuite nous avons livré une grande bataille devant Antioche,
et avons, par la virilité de nos efforts, remporté une éclatante
victoire;
si bien que l’ennemi a eu soixante-neuf mille morts. De notre côté,
notre
perte a été de dix mille, qui sont morts dans la paix du Seigneur. Qui
a
jamais vu un pareil triomphe? Soit que nous vivions, soit que nous
mourrions,
nous appartenons au Seigneur. Il faut encore que vous sachiez que le
roi
des Perses nous a mandé qu’il nous présenterait la bataille le jour
de la
fête de tous les Saints, assurant que s’il reste vainqueur il ne
cessera
de faire la guerre aux Chrétiens de concert avec le roi de Babylone (du
Caire) et la plupart des autres rois païens. S’il perd la bataille,
il se
fera chrétien avec tous ceux qu’il pourra entraîner à sa suite. En
conséquence,
nous vous supplions de pratiquer à cette intention le jeûne et les
aumônes,
et de célébrer la sainte Messe avec dévotion et assiduité. Et
spécialement
observez dévotement, par les aumônes et les prières, le troisième jour
avant
la fête, qui se trouve être un vendredi, jour du triomphe du Christ,
que
nous choisissons pour livrer cette mémorable bataille.
Moi, évêque de Grenoble, j’envoie ces lettres qui m’ont été
apportées
à Grenoble, à vous archevêque et chanoines de la sainte église de
Tours,
afin que vous les communiquiez à tous ceux qui viendront à la fête, et
par
leur moyen, aux différents contrées où ils doivent retourner. Que les
uns
prodiguent les prières et les aumônes, et que les autres se hâtent
d’accourir
avec leurs armes.
Comte Riant conclut que la lettre fut écrite entre le 28 juin 1098, la
victoire sur Kerbogha, et le milieu de juillet, époque de départ pour
Constantinople
de Hugues-le-Maisné, dans » Inventaire des lettres historiques des
croisades
« , Archives de l’Orient Latin, New York, AMS Press, 1978
(1881), pp. 175-176.
Traduction prise dans J.F.A. Peyré, Histoire de la Première Croisade,
Paris, Aug. Durand, 1859, vol. 2, pp. 479-481.

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